Les recherches menées depuis quelques années sur le microbiote intestinal bouleversent totalement notre vision de l’écosystème digestif humain. En effet, de « simples digesteurs » de nourriture, ces bactéries sont devenues des acteurs majeurs dans la compréhension de certaines maladies telles que l’obésité, le diabète de type 2, la maladie de Crohn… Des liens directs importants ont également été démontrés entre ces bactéries et le système immunitaire, ainsi qu’avec le cerveau. Il est estimé que 100 000 milliards de bactéries peuplent l’intestin de chaque individu (soit 10 à 100 fois plus que le nombre de cellules dont est constitué le corps humain) et leur diversité est très importante, puisque environ un millier d’espèces bactériennes différentes ont pu être distinguées au sein de l’ensemble des métagénomes humains analysés. Or, seulement 15% de ces bactéries étant connues (génomes séquencés), l’ensemble des gènes qu’il restait à décrypter était donc immense.
Des chercheurs de l’Inra avec des équipes du CEA (Genoscope), du CNRS, de l’Université d’Evry et des scientifiques étrangers ont élaboré une nouvelle approche permettant de faciliter grandement l’analyse du métagénome intestinal tout en améliorant la qualité des données obtenues. Pour y parvenir, ils sont partis d’une hypothèse simple :
- pour chacune des centaines d’espèces bactériennes qu’un individu abrite dans son tube digestif l’abondance des tous ses gènes est constante, puisque chaque cellule d’une même espèce possède les même gènes ;
- entre individus, l’abondance relative de différentes espèces varie fortement, entre 10 et 1 000 fois, et, bien entendu, l’abondance des gènes que chacune abrite varie d’autant ;
- en comparant cette abondance de gènes bactériens entre différents individus, il est possible d’affirmer que les gènes dont l’abondance varie similairement appartiennent à une même espèce bactérienne.
L’analyse de 396 échantillons de selles d’individus danois et espagnols a permis de répartir les 3,9 millions de gènes du catalogue dans 7 381 groupes de co-abondance de gènes. Environ 10 % de ces groupes (741) correspondaient à des espèces bactériennes, appelées espèces métagénomiques (MGS) ; 85 % d’entre elles constituaient des espèces bactériennes inconnues (soit ~630 espèces). Les 90 % restant correspondaient à des groupes de virus bactériens (848 bactériophages ont été découverts), de plasmides (fragments d’ADN bactériens circulaires) ou encore des gènes qui protègent les bactéries d’attaques virales (connus sous le nom de séquences CRISPR).
Grâce à cette nouvelle approche, les chercheurs ont réussi à reconstituer le génome complet de 238 MGS inconnues, sans culture préalable de ces bactéries. Vivant sans oxygène, dans un environnement difficile à caractériser et à reproduire, la plupart des bactéries intestinales ne peuvent pas être cultivées en laboratoire. Or jusqu’à présent, l’analyse du métagénome se basait sur la comparaison entre des gènes détectés dans un échantillon et des gènes répertoriés dans les catalogues de gènes de bactéries connues et cultivables en laboratoire (soit 15 % des bactéries intestinales), ce qui rendait impossible l’assignation des gènes des bactéries non cultivables.
Les auteurs ont également démontré plus de 800 relations de dépendance au sein des 7 381 groupes de co-abondance de gènes, comme c’est le cas par exemple pour les bactériophages nécessitant la présence de bactéries pour survivre. Ces dépendances permettent de mieux comprendre les mécanismes de survie d’un micro-organisme dans son écosystème. C’est aussi la première fois qu’une analyse permet de révéler les relations entre les différentes entités biologiques du microbiote intestinal, ce qui facilitera leur détection, leur isolement et leur culture, mais aussi la compréhension du fonctionnement global de la population microbienne intestinale.
Cette étude apporte une vision inégalée et très détaillée des communautés microbiennes chez l’homme. La méthode développée permet de grandement simplifier l’analyse des gènes du microbiote intestinal : il est désormais possible d’étudier seulement quelques milliers d’éléments génétiques ou centaines d’espèces, au lieu des millions de gènes qui constituent le métagénome. Ceci améliore aussi considérablement la force et la précision des analyses statistiques.