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Déclaration de responsables d’organismes publics de recherche et d’universités


​“Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous ”, disait Montesquieu. Au nom de la communauté scientifique, nous ne pouvons aujourd’hui qu’exprimer notre total soutien à l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et notre inquiétude forte face aux conséquences d’une décision de justice intervenue à son encontre le 14 mai dernier.

Publié le 20 mai 2014

La Cour d’Appel de Colmar vient en effet de relaxer 54 personnes, « les faucheurs », qui avaient détruit, en 2010, un essai scientifique en plein champ utilisant des pieds de vigne génétiquement modifié, et dont l’objectif était d’étudier les mécanismes de résistance à une maladie virale largement répandue dans notre vignoble ainsi que les impacts potentiels de cette modification génétique sur l’environnement. Cet essai de recherche, co-construit de manière exemplaire avec la société civile et ayant donné lieu à la tenue de plus de 200 réunions publiques, n’avait aucune vocation commerciale. Il s’agissait en outre de travaux qui font l’objet de procédures d’autorisation et de modalités d’expérimentation encadrées de façon précise par la loi, qui avaient été scrupuleusement respectées par l’INRA.

Au-delà de la controverse sociétale sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) et des réactions qu’elle suscite, cette décision de justice est singulière en ce qu’elle était la première à être rendue sur la destruction d’un essai mené par le service public de la recherche depuis que la loi a prévu des sanctions aggravées pour la dégradation des parcelles destinées à la production des connaissances scientifiques, en les distinguant des parcelles destinées à la culture commerciale d’OGM.

Depuis cet arrêt de la Cour d’Appel de Colmar, et à plus forte raison s’il venait à être confirmé dans l’hypothèse où, comme nous le souhaitons, un recours en cassation de ce jugement venait à être engagé, la protection juridique des installations de recherche dédiées à l’expérimentation dans des conditions encadrées, n’est donc plus assurée. Des essais tel que celui de l’INRA à Colmar sont pourtant la seule façon de recueillir des preuves scientifiques documentées et indiscutables sur la réalité des effets que les OGM peuvent avoir sur les êtres humains, les animaux et l'environnement. Leur destruction par des individus ne respectant pas les règles démocratiques, empêche concrètement les chercheurs d’exercer leur mission au service de l’intérêt général. Faut-il que sous la menace, ils renoncent collectivement à conduire désormais des expérimentations sur des sujets sociétaux à forts enjeux parce qu’ils font l’objet de controverses ?

En tant que responsables d’organismes de recherche publique et d’universités nous souhaitons solennellement attirer l’attention de nos concitoyens sur les conséquences d’une telle situation. Nous sommes des chercheurs responsables connaissant parfaitement les débats de société que suscitent légitimement certaines technologies en fonction de leur usage ou de leur utilité et qu’il ne nous appartient pas de trancher. Nous savons aussi que les attentes de nos concitoyens à l’égard de la science n’ont jamais été aussi fortes pour qu’elle puisse contribuer à relever des défis importants notamment pour prévenir des risques environnementaux ou de santé publique majeurs. Dans ces conditions, faut-il abandonner toute possibilité d’expérimentations contrôlées sur des innovations technologiques pouvant constituer une partie des réponses à inventer, alors qu’elles sont pourtant indispensables pour qualifier leur impact et les risques associés, afin de pouvoir collectivement faire des choix éclairés au-delà des peurs qu’elles peuvent susciter ? C’est aussi, quelles que soient ensuite les décisions prises, la condition nécessaire au maintien d’une expertise publique indépendante, capable de qualifier les problèmes, de rendre des avis objectifs à la demande de la puissance publique et d’éclairer utilement le débat de société. Devons-nous nous résigner à ne plus pouvoir mettre la connaissance au service de la décision collective ?

Renoncer à expérimenter, c’est donc refuser d’agir pour améliorer notre avenir collectif. C’est pourtant ce qui risque d’arriver si nous ne sortons pas de cette logique de la peur et du renoncement à laquelle nous invite ce jugement où la détermination de quelques-uns met en péril la capacité de tous à affronter démocratiquement et rationnellement ces défis complexes. Nous appelons de nos vœux une clarification de l’interprétation du cadre législatif et règlementaire encadrant l’expérimentation qui nous permette de continuer à exercer notre mission de recherche publique au service de l’intérêt général dans un contexte juridiquement sécurisé.

Liste des signataires :
- Monsieur Bernard Bigot, administrateur général du CEA
- Monsieur Jean-Marc Bournigal, président directeur général de l’IRSTEA
- Madame Pascale Briand, directrice générale de l’ANR
- Monsieur Michel Cosnard, président directeur général de l’INRIA
- Monsieur Michel Eddi, président directeur général du CIRAD
- Monsieur Alain Fuchs, président du CNRS
- Madame Claudie Haigneré, présidente directrice générale d’Universcience
- Monsieur François Jacq, président directeur général de l’IFREMER
- Monsieur Vincent Laflèche, président directeur général du BRGM
- Monsieur Michel Laurent, président de l’IRD
- Monsieur Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des Présidents d’Universités
- Monsieur André Syrota, président directeur général de l’Inserm

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