La Cour d’Appel de Colmar vient en effet de relaxer 54 personnes, «
les faucheurs », qui avaient détruit, en 2010, un essai scientifique en
plein champ utilisant des pieds de vigne génétiquement modifié, et dont
l’objectif était d’étudier les mécanismes de résistance à une maladie
virale largement répandue dans notre vignoble ainsi que les impacts
potentiels de cette modification génétique sur l’environnement. Cet
essai de recherche, co-construit de manière exemplaire avec la société
civile et ayant donné lieu à la tenue de plus de 200 réunions publiques,
n’avait aucune vocation commerciale. Il s’agissait en outre de travaux
qui font l’objet de procédures d’autorisation et de modalités
d’expérimentation encadrées de façon précise par la loi, qui avaient été
scrupuleusement respectées par l’INRA.
Au-delà de la controverse
sociétale sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) et des
réactions qu’elle suscite, cette décision de justice est singulière en
ce qu’elle était la première à être rendue sur la destruction d’un essai
mené par le service public de la recherche depuis que la loi a prévu
des sanctions aggravées pour la dégradation des parcelles destinées à la
production des connaissances scientifiques, en les distinguant des
parcelles destinées à la culture commerciale d’OGM.
Depuis cet
arrêt de la Cour d’Appel de Colmar, et à plus forte raison s’il venait à
être confirmé dans l’hypothèse où, comme nous le souhaitons, un recours
en cassation de ce jugement venait à être engagé, la protection
juridique des installations de recherche dédiées à l’expérimentation
dans des conditions encadrées, n’est donc plus assurée. Des essais tel
que celui de l’INRA à Colmar sont pourtant la seule façon de recueillir
des preuves scientifiques documentées et indiscutables sur la réalité
des effets que les OGM peuvent avoir sur les êtres humains, les animaux
et l'environnement. Leur destruction par des individus ne respectant pas
les règles démocratiques, empêche concrètement les chercheurs d’exercer
leur mission au service de l’intérêt général. Faut-il que sous la
menace, ils renoncent collectivement à conduire désormais des
expérimentations sur des sujets sociétaux à forts enjeux parce qu’ils
font l’objet de controverses ?
En tant que responsables
d’organismes de recherche publique et d’universités nous souhaitons
solennellement attirer l’attention de nos concitoyens sur les
conséquences d’une telle situation. Nous sommes des chercheurs
responsables connaissant parfaitement les débats de société que
suscitent légitimement certaines technologies en fonction de leur usage
ou de leur utilité et qu’il ne nous appartient pas de trancher. Nous
savons aussi que les attentes de nos concitoyens à l’égard de la science
n’ont jamais été aussi fortes pour qu’elle puisse contribuer à relever
des défis importants notamment pour prévenir des risques
environnementaux ou de santé publique majeurs. Dans ces conditions,
faut-il abandonner toute possibilité d’expérimentations contrôlées sur
des innovations technologiques pouvant constituer une partie des
réponses à inventer, alors qu’elles sont pourtant indispensables pour
qualifier leur impact et les risques associés, afin de pouvoir
collectivement faire des choix éclairés au-delà des peurs qu’elles
peuvent susciter ? C’est aussi, quelles que soient ensuite les décisions
prises, la condition nécessaire au maintien d’une expertise publique
indépendante, capable de qualifier les problèmes, de rendre des avis
objectifs à la demande de la puissance publique et d’éclairer utilement
le débat de société. Devons-nous nous résigner à ne plus pouvoir mettre
la connaissance au service de la décision collective ?
Renoncer à
expérimenter, c’est donc refuser d’agir pour améliorer notre avenir
collectif. C’est pourtant ce qui risque d’arriver si nous ne sortons pas
de cette logique de la peur et du renoncement à laquelle nous invite ce
jugement où la détermination de quelques-uns met en péril la capacité
de tous à affronter démocratiquement et rationnellement ces défis
complexes. Nous appelons de nos vœux une clarification de
l’interprétation du cadre législatif et règlementaire encadrant
l’expérimentation qui nous permette de continuer à exercer notre mission
de recherche publique au service de l’intérêt général dans un contexte
juridiquement sécurisé.
Liste des signataires :
- Monsieur Bernard Bigot, administrateur général du CEA
- Monsieur Jean-Marc Bournigal, président directeur général de l’IRSTEA
- Madame Pascale Briand, directrice générale de l’ANR
- Monsieur Michel Cosnard, président directeur général de l’INRIA
- Monsieur Michel Eddi, président directeur général du CIRAD
- Monsieur Alain Fuchs, président du CNRS
- Madame Claudie Haigneré, présidente directrice générale d’Universcience
- Monsieur François Jacq, président directeur général de l’IFREMER
- Monsieur Vincent Laflèche, président directeur général du BRGM
- Monsieur Michel Laurent, président de l’IRD
- Monsieur Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des Présidents d’Universités
- Monsieur André Syrota, président directeur général de l’Inserm