Vous êtes ici : Accueil > Actualités & Communiqués > Un épisode chaud du passé décrit grâce au forage des glaces les plus anciennes du Groenland

Résultat scientifique | Communiqué de presse | Climat | Environnement | Paléoclimats

Un épisode chaud du passé décrit grâce au forage des glaces les plus anciennes du Groenland


​L’Histoire du climat vient d’être reconstituée sur 130 000 ans au Groenland grâce à l’analyse de carottes de glace extraites lors du forage NEEM[1] mené par une équipe internationale de scientifiques impliquant en France, le CNRS, le CEA, l’UVSQ, l’université Joseph Fourier[2] et l’IPEV. Les chercheurs ont pu récupérer pour la première fois en Arctique de la glace formée lors de la dernière période interglaciaire, il y a 130 000 à 125 000 ans, marquée par un important réchauffement arctique. Selon leurs travaux, la calotte du Groenland aurait contribué seulement de 2 mètres aux 4 à 8 mètres de montée du niveau marin caractéristique de cette période. Publiée le 24 janvier dans Nature, cette étude apporte des informations précieuses pour comprendre les relations entre climat et montée du niveau des mers.

Publié le 24 janvier 2013

NEEM est un projet de forage international visant à extraire des carottes de glace au nord-ouest du Groenland, afin d’obtenir pour la première fois en Arctique des échantillons couvrant les derniers 130 000 ans donnant accès à la dernière période interglaciaire, l’Eemien, un épisode chaud du passé. Pilotée par l’Université de Copenhague et impliquant 14 pays, dont la France, l’équipe de NEEM a foré plus de 2,5 km jusqu’au socle rocheux en deux ans, entre 2010 et 2012. Elle a ainsi extrait le premier enregistrement complet de l’Eemien, fournissant des estimations des changements de température, de quantité de précipitations et de composition atmosphérique.

Les carottes de glace du Groenland, formées par l’accumulation et le tassement de couches de neige, ont été scrutées par une palette d’analyses effectuée sur la glace elle-même mais aussi sur l’air piégé dans cette dernière. La mesure des isotopes stables de l’eau informe sur les changements de température à la surface de la calotte et de transport d’humidité au cours du temps. Composition isotopique de l’eau et composition atmosphérique de l’air piégé ont permis aux scientifiques de caractériser les variations passées du climat, enregistrées au Groenland année après année, comme dans les anneaux de croissance des arbres. La quantité de gaz présente dans la glace renseigne enfin sur les variations d’épaisseur de la calotte de glace, la teneur en air piégé variant en fonction de l’altitude du site.

A partir de ces analyses, les scientifiques ont été en mesure de décrire les changements climatiques sur les derniers 130 000 ans au Groenland. Résultats : durant l’Eemien, il y a 130 000 à 125 000 ans, le climat du nord du Groenland aurait été de 4°C à 8°C plus chaud qu’actuellement. Ces températures sont plus élevées que celles simulées par les modèles de climat pour cette période[3]. Pour autant et de manière surprenante, l’altitude de la calotte, au voisinage de NEEM, n’a baissé que de quelques centaines de mètres sous le niveau actuel. En effet, au début de la période interglaciaire, il y a environ 128 000 ans, elle était 200 mètres plus élevée que le niveau actuel, puis l’épaisseur de la calotte a diminué à un rythme d’en moyenne 6 cm par an. Ensuite, il y a près de 122 000 ans, l’altitude de la surface était environ 130 mètres sous le niveau actuel. L’épaisseur de la calotte est alors restée stable (autour de 2 400 mètres) jusqu’au début de la dernière glaciation, il y a près de 115 000 ans. La calotte du Groenland n’a donc pu contribuer que de 2 mètres aux 4 à 8 mètres de la montée du niveau marin caractéristique de l’Eemien.

[1] North Greenland Eemien Ice Drilling (ou forage de glace Eemien au Nord du Groenland)
[2] Les laboratoires français impliqués sont principalement le Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l’environnement (LGGE, CNRS/UJF) et le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (IPSL/LSCE, CNRS/CEA/UVSQ). Le laboratoire Grenoble Images Parole Signal Automatique (CNRS/Grenoble-INP/UJF/Université Stendhal) a contribué à la modélisation du piégeage de l'air. Coordonnées par Valérie Masson-Delmotte, les équipes françaises ont participé aux opérations de terrain (forage, traitement des carottes), à l’analyse des poussières, des isotopes de l’eau, de la composition de l’air, des propriétés physiques et à la modélisation du piégeage de l’air et de l’écoulement de la calotte. Elles ont joué un rôle clé dans la datation de la glace profonde du forage.
[3] La cause du réchauffement du Groenland pendant la dernière période interglaciaire est bien connue : il s'agit d'une augmentation de l'ensoleillement d'été, due à une orbite terrestre différente.

Par ailleurs, les chercheurs estiment que le volume de la calotte du Groenland a diminué d’environ 25% en 6 000 ans durant l’Eemien. Au cours de cette période, une intense fonte de surface est enregistrée dans les carottes de glace par des couches de regel. Ces dernières résultent de l’eau de fonte, fournie par la neige de surface, qui s’est infiltrée dans les couches de neige plus profondes puis a regelé. De tels évènements de fonte sont très rares au cours des derniers 5 000 ans, confirmant que la température de surface au site de NEEM était nettement plus chaude pendant l’Eemien qu’actuellement. Ce phénomène a tout de même été observé durant l’été 2012 par l’équipe présente sur le site du forage NEEM.

Ces résultats confirment la vulnérabilité de la calotte du Groenland aux augmentations de température. Cependant, le fait qu’elle n’ait pas entièrement disparu au cours de l’Eemien implique que la calotte de l’Antarctique serait responsable d’une part importante des 4 à 8 mètres de la montée du niveau marin qui s’est produite au cours de l’Eemien. La calotte de l’Antarctique, dont l’évolution passée reste mal connue, serait donc susceptible de réagir de manière significative au réchauffement climatique. Cette reconstitution du climat de l’Eemien fournit des données de référence qui seront confrontées aux simulations du climat et de l’évolution des calottes de glace, seuls outils disponibles pour évaluer les risques d’évolution future du climat et du niveau des mers.

En France, le projet NEEM a principalement bénéficié des soutiens du CNRS, du CEA, de l’IPEV et de l’ANR Vulnérabilités, Milieux et Climat.

Haut de page