NEEM est un projet de forage international
visant à extraire des carottes de glace au nord-ouest du Groenland, afin
d’obtenir pour la première fois en Arctique des échantillons couvrant
les derniers 130 000 ans donnant accès à la dernière période
interglaciaire, l’Eemien, un épisode chaud du passé. Pilotée par
l’Université de Copenhague et impliquant 14 pays, dont la France,
l’équipe de NEEM a foré plus de 2,5 km jusqu’au socle rocheux en deux
ans, entre 2010 et 2012. Elle a ainsi extrait le premier enregistrement
complet de l’Eemien, fournissant des estimations des changements de
température, de quantité de précipitations et de composition
atmosphérique.
Les carottes de glace du
Groenland, formées par l’accumulation et le tassement de couches de
neige, ont été scrutées par une palette d’analyses effectuée sur la
glace elle-même mais aussi sur l’air piégé dans cette dernière. La
mesure des isotopes stables de l’eau informe sur les changements de
température à la surface de la calotte et de transport d’humidité au
cours du temps. Composition isotopique de l’eau et composition
atmosphérique de l’air piégé ont permis aux scientifiques de
caractériser les variations passées du climat, enregistrées au Groenland
année après année, comme dans les anneaux de croissance des arbres. La
quantité de gaz présente dans la glace renseigne enfin sur les
variations d’épaisseur de la calotte de glace, la teneur en air piégé
variant en fonction de l’altitude du site.
A
partir de ces analyses, les scientifiques ont été en mesure de décrire
les changements climatiques sur les derniers 130 000 ans au Groenland.
Résultats : durant l’Eemien, il y a 130 000 à 125 000 ans, le climat du
nord du Groenland aurait été de 4°C à 8°C plus chaud qu’actuellement.
Ces températures sont plus élevées que celles simulées par les modèles
de climat pour cette période[3]. Pour autant et de manière surprenante,
l’altitude de la calotte, au voisinage de NEEM, n’a baissé que de
quelques centaines de mètres sous le niveau actuel. En effet, au début
de la période interglaciaire, il y a environ 128 000 ans, elle était 200
mètres plus élevée que le niveau actuel, puis l’épaisseur de la calotte
a diminué à un rythme d’en moyenne 6 cm par an. Ensuite, il y a près de
122 000 ans, l’altitude de la surface était environ 130 mètres sous le
niveau actuel. L’épaisseur de la calotte est alors restée stable (autour
de 2 400 mètres) jusqu’au début de la dernière glaciation, il y a près
de 115 000 ans. La calotte du Groenland n’a donc pu contribuer que de 2
mètres aux 4 à 8 mètres de la montée du niveau marin caractéristique de
l’Eemien.
[1] North Greenland Eemien Ice Drilling (ou forage de glace Eemien au Nord du Groenland)
[2]
Les laboratoires français impliqués sont principalement le Laboratoire
de glaciologie et de géophysique de l’environnement (LGGE, CNRS/UJF) et
le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (IPSL/LSCE,
CNRS/CEA/UVSQ). Le laboratoire Grenoble Images Parole Signal Automatique
(CNRS/Grenoble-INP/UJF/Université Stendhal) a contribué à la
modélisation du piégeage de l'air. Coordonnées par Valérie
Masson-Delmotte, les équipes françaises ont participé aux opérations de
terrain (forage, traitement des carottes), à l’analyse des poussières,
des isotopes de l’eau, de la composition de l’air, des propriétés
physiques et à la modélisation du piégeage de l’air et de l’écoulement
de la calotte. Elles ont joué un rôle clé dans la datation de la glace
profonde du forage.
[3] La cause du réchauffement du Groenland
pendant la dernière période interglaciaire est bien connue : il s'agit
d'une augmentation de l'ensoleillement d'été, due à une orbite terrestre
différente.
Par ailleurs, les chercheurs
estiment que le volume de la calotte du Groenland a diminué d’environ
25% en 6 000 ans durant l’Eemien. Au cours de cette période, une intense
fonte de surface est enregistrée dans les carottes de glace par des
couches de regel. Ces dernières résultent de l’eau de fonte, fournie par
la neige de surface, qui s’est infiltrée dans les couches de neige plus
profondes puis a regelé. De tels évènements de fonte sont très rares au
cours des derniers 5 000 ans, confirmant que la température de surface
au site de NEEM était nettement plus chaude pendant l’Eemien
qu’actuellement. Ce phénomène a tout de même été observé durant l’été
2012 par l’équipe présente sur le site du forage NEEM.
Ces
résultats confirment la vulnérabilité de la calotte du Groenland aux
augmentations de température. Cependant, le fait qu’elle n’ait pas
entièrement disparu au cours de l’Eemien implique que la calotte de
l’Antarctique serait responsable d’une part importante des 4 à 8 mètres
de la montée du niveau marin qui s’est produite au cours de l’Eemien. La
calotte de l’Antarctique, dont l’évolution passée reste mal connue,
serait donc susceptible de réagir de manière significative au
réchauffement climatique. Cette reconstitution du climat de l’Eemien
fournit des données de référence qui seront confrontées aux simulations
du climat et de l’évolution des calottes de glace, seuls outils
disponibles pour évaluer les risques d’évolution future du climat et du
niveau des mers.
En France, le projet NEEM a principalement
bénéficié des soutiens du CNRS, du CEA, de l’IPEV et de l’ANR
Vulnérabilités, Milieux et Climat.