Dans cette perspective, les Etats ont chacun élaboré leur contribution nationale (les NDCs[3]), sous la forme de trajectoires énergétiques et économiques prévisionnelles volontaires. Même si la somme des NDCs ne nous place pas à horizon 2030 sur une trajectoire permettant, à moindre coût, de contenir le réchauffement bien en deçà de 2°C[4] - une contradiction pointée lors des sessions techniques de la COP 21 - ces engagements illustrent une dynamique et une volonté fortes de pays aux situations énergétiques, économiques et sociétales très différentes. C'est en cela un premier succès.
Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue du CEA au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) et co-présidente du groupe scientifique du GIEC. © T.Paviot/CEA
Se posent à présent les questions relatives à la mise en œuvre très concrète des actions de transitions énergétique et climatique dans les pays. Cet accord est basé sur une logique non-contraignante d'engagement volontaire, ce qui n'est pas compatible avec une coordination centralisée des actions par l'ONU. Cette coordination va se faire « en marchant », selon des logiques décentralisées. Un gros point d'interrogation : la valeur du carbone ?
Climat et énergie.
Comment va s'organiser la mise en œuvre des actions de transitions énergétique et climatique ?
V.M-D : L'entrée en vigueur de l'Accord de Paris était initialement prévue le 1er janvier 2020, laissant notamment le temps de préciser les modalités de son application, dans un cadre non contraignant ; ce que feront la COP 22 est les suivantes. Cela concerne par exemple les mécanismes d'atténuation, c'est-dire de réduction des émissions de GES, et d'adaptation au changement climatique. Sur ce point, l'OCDE vient[5] de publier la feuille de route du Fonds « Finance climat » qui gérera les 100 milliards $ des pays développés en soutien à ceux en développement.
Un groupe de travail a également été mis en place, piloté par Sarah Baashan (Arabie Saoudite) et Jo Tyndall (Nouvelle-Zélande), pour le suivi de l'entrée en vigueur de l'Accord. Celui-ci prévoit la réalisation d'inventaires, tous les cinq ans à partir de 2018, qui sont des points réguliers et actualisés de l'état du climat, du volume des émissions de GES et des trajectoires énergétiques prévues dans les NDCs. Elaborés dans une perspective la plus factuelle et objective possible, et reposant sur des connaissances scientifiques, ces inventaires serviront à aider les Etats pour revoir à la hausse leur contribution.
J-G. D.d.L : Il y a déjà de multiples actions prises au niveau européen, particulièrement en France. La loi Transition énergétique pour la croissance verte (TECV), adoptée par le Parlement en juillet 2015, est le fruit de réflexions initiées il y a déjà plus de 10 ans. Ces réflexions ont associé l'alliance Ancre[6] et le CEA, qui en est membre fondateur[7] et dont l'I-tésé a réalisé de nombreuses études technico-économiques dans le domaine de la transition énergétique.
Mais des questions demeurent quant à l'application concrète de cette loi mêle si la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qu'elle a instaurée vient tout juste d'être promulguée[8]. Il s'agit d'une synthèse des objectifs et actions à mener sur une période de cinq ans qui doit, entre autres, aider à planifier les investissements à réaliser en France aux échelles nationale et territoriale.
De manière générale, la transformation des NDCs en lois et politiques énergétiques nationales se pilote selon deux approches. Cela nécessite de trancher entre un cadre réglementaire qui représente un coût grosso modo nul pour l'Etat, et le volet économique qui repose sur des dispositifs fiscaux incitatifs, des tarifs d'achats, des taxes carbone, etc. Pour résumer, soit on contraint aimablement, soit on oriente par des moyens financiers.
V.M-D : Ce type de problématique sera précisément abordé dans le rapport spécial du Giec que l'Accord de Paris a invité à préparer pour 2018, parallèlement au premier inventaire global. Avec les co-présidents de tous les groupes de travail du Giec, nous avons organisé la première réunion de cadrage rassemblant 600 experts de différents pays et différents domaines de compétence. Ce rapport évaluera les impacts d'un réchauffement global à 1,5°C et des trajectoires compatibles vis-à-vis des émissions de GES. Nous évaluerons les efforts supplémentaires à fournir et les options d'actions possibles selon l'objectif de long terme. Nous savons qu'il y a un potentiel de baisse des rejets de GES en fonction des options, notamment grâce aux travaux de l'I-tésé, mais nous allons nous interroger sur la capacité de transformation à tous les niveaux. Cela implique une recherche multidisciplinaire, associant également les sciences sociales.
J-G. D.d.L : A l'I-tésé, un de nos domaines d'expertise concerne le potentiel des technologies, les leviers d'actions pour les mettre en œuvre, ainsi que les « usages » car la dimension sociale est très importante. Notre récente étude Decarbonization Wedges (DW), porte ainsi sur 108 technologies[9]. Elle montre que, dans les 10 années à venir, la mise en œuvre des trajectoires des INDCs est possible sur le plan technologique mais qu'elle aura de nombreux verrous, principalement économiques. Il est en effet difficile de mobiliser des fonds, qui pourtant sont abondants au niveau mondial, dans le domaine de l'énergie car son économie est difficilement prévisible et comporte de nombreux risques peu assurables ou « mitigeables » à moyen et long terme.
La réalisation du rapport spécial du Giec est donc très importante pour garder le cap et l'énergie insufflés par la COP 21. Il permettra d'interroger la dynamique en place car les perspectives demeurent inconnues. Une chose est sûre : l'avenir va se jouer dès le court terme, avant même 2030, car notre « crédit carbone » est de l'ordre d'une trentaine d'années de fonctionnement au régime actuel. Nous avons grand intérêt à accélérer le déploiement des transitions énergétiques.
A côté des négociations géopolitiques des états lors des COP, comment est abordée la question de la R&D pour les énergies renouvelables ?
J-G. D.d.L : C'est justement l'un des points majeurs que nous soulevons aujourd'hui. Certes, la COP 21 a stimulé des initiatives en faveur de la R&D et de l'accompagnement des tissus industriels : mission Innovation lancée par les Etats-Unis et la Chine avec la France, Alliance solaire internationale initiée par l'Inde et la France, etc.
Mais il faut réaffirmer lors de la COP 22 que la transition énergétique ne se fera pas sans rupture technologiques. Nous devons, avec en ligne de mire l'horizon 2030, considérablement accélérer la R&D « amont » sinon nous ne serons jamais au rendez-vous de l'Accord de Paris. De même, il faut s'attacher à lever les verrous sociétaux, organisationnels et juridiques qui freinent la transition. Un atout est de la concevoir avec les parties prenantes et, comme le dit Valérie, il faut une approche pluridisciplinaire. En cela, nos deux structures de recherche collaborent entre elles et avec, par exemple, les alliances de recherche Ancre et Allenvi[10].
V.M-D : La R&D n'était pas spécifiquement abordée dans l'Accord de Paris qui ne vise pas la production de connaissances mais la production des conditions pour agir, en fonction des connaissances, notamment par le renforcement des capacités à travers la formation d'experts dans les pays du sud, indispensable pour éclairer les choix. Néanmoins, la R&D est évidemment au cœur des transformations nécessaires pour la réussite de cet Accord.
Les experts du CEA seront-ils sollicités pour la COP 22 ?
J-G. D.d.L : En marge des négociations politiques, les acteurs publics et privés représentant les sociétés civiles organisent des évènements. Dans ce cadre, l'agence marocaine MASEN[11], avec laquelle collabore le CEA depuis 2015 sur des projets relatifs à l'énergie solaire, organise une conférence sur le stockage de l'énergie et y convie Florence Lambert, directrice de l'institut Liten de CEA Tech et Nidhal Ouerfelli, directeur adjoint des relations internationales du CEA. La direction de l'énergie nucléaire est aussi impliquée localement. Et les experts du CEA répondront présent aux initiatives de l'Ademe et du Ministère de la recherche lors de la COP 22.
V.M-D : Au titre du Giec, je serai présente à plusieurs événements sur les besoins urgents de recherche fondamentale en sciences du climat, sur les femmes qui font progresser ces sciences. Je participerai également à une journée grand public à l'Université de Marrakech et à la COP 22, à une journée sur l'éducation au changement climatique à l'Académie des sciences marocaines, et enfin à une réunion de travail du Giec « Unfccc – collaborations & synergies ».