Comment la production « primaire »1 du phytoplancton sera-t-elle affectée par le changement climatique ? La question n’est pas simple. Cette production influence en effet la concentration de CO2 atmosphérique, car une partie des matières organiques produites dans l’eau finit par tomber au fond, stockant du carbone dans l’océan profond.
Les modèles climatiques développés dans le monde entier apportent des réponses divergentes. La production primaire marine serait stimulée par le changement climatique ou au contraire, elle subirait une réduction drastique de 20 % à l’échelle mondiale, en 2100.
Des chercheurs du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE, CEA-CNRS-UVSQ)2, proposent une nouvelle méthode qui réduit cette incertitude en extrayant de l’information de l’ensemble des modèles. Le point de départ est le constat d’une corrélation étroite entre une prédiction vérifiable aujourd’hui et la prédiction recherchée, plus éloignée dans le temps. En d’autres termes, quand un modèle « affirme » que la production primaire actuelle est très affectée par des épisodes de type El Niño, il affirme également qu’elle sera très affectée par le changement climatique à venir.
Le graphique ci-dessous permet de visualiser les résultats fournis par divers modèles climatiques :
- en abscisses, la réponse de la production primaire marine à des épisodes « El Niño – oscillation australe » pour une variation thermique d’un degré,
- en ordonnées, la réponse également normalisée à un degré de la production primaire marine au changement climatique en 2100.
L’alignement remarquable de ces résultats constitue ce que les climatologues appellent une « contrainte émergente ». La droite ainsi obtenue contient davantage d’information que chacun des modèles individuels : elle les contient tous en quelque sorte.
Or les scientifiques disposent de données satellitaires sur la production primaire au cours d’épisodes El Niño récents. En reportant les valeurs observées (droites verticales de couleur), ils déterminent que la production primaire baisserait d’environ 3 % par degré de réchauffement.
«En utilisant cette approche, nous estimons que dans le cadre d’un scénario de laisser-faire, la production primaire tropicale pourrait s’effondrer de plus de 10 % d’ici 2100», précise le premier auteur de l’étude, Lester Morgan Kwiatkowski, climatologue au CEA, au LSCE.
Laurent Bopp, co-auteur de l’étude, ajoute : «Ce travail permet de diminuer considérablement les incertitudes associées aux projections numériques. Sans action forte pour réduire les émissions anthropiques de gaz à effet de serre, le changement climatique pourrait entraîner une diminution à long terme de la biomasse du phytoplancton dans l’océan avec des répercussions sur toute la chaîne alimentaire. Cela risque d’avoir des conséquences négatives sur les pêcheries mondiales, déjà soumises à de fortes pressions aujourd’hui.»
Image satellite (en couleur réelle) de nuages ondulés de floraison de phytoplancton du côté sud-ouest de la Norvège dans la mer du Nord. La floraison s'étend sur trois directions immédiatement après le nord-ouest, vers le sud-ouest, et dans un ruisseau plus mince vers le sud-est. © NASA Earth Observatory/Jeff Schmaltz