Les céréales se distinguent des graminées sauvages par des pollens de plus grande taille (supérieure à 40 µm). À titre de comparaison, la « pluie » pollinique actuelle autour du lac d'Acıgöl ne contient quasiment pas de tels pollens (< 1 %), même dans des zones où des ancêtres de céréales (Aegilops) et des céréales (orge) sont présentes, alors que les sédiments anciens d'Acıgöl en comptent jusqu'à 9 %.
À côté des pollens de proto-céréales, les chercheurs ont trouvé des pollens d'ancêtres d'arbres cultivés (olivier, noyer, châtaignier, noisetier Prunus), caractéristiques de l'agriculture moderne méditerranéenne.
Ils ont également relevé des spores de champignons qui se développent exclusivement sur les excréments de grands mammifères et attestent donc de la présence de troupeaux. À proximité d'Acıgöl, d'abondants restes fossiles de grands mammifères (mammouth, rhinocéros, okapi, chameau et de nombreux chevaux et bovidés) ont été mis au jour, ainsi qu'un crâne d'Homo erectus d'origine africaine.
Selon l'hypothèse avancée par les chercheurs, les proto-céréales d'Acıgöl proviennent de graminées sauvages et leur émergence a pu être favorisée par les troupeaux de grands herbivores attirés par les eaux douces du lac. Par le piétinement, l'enrichissement des sols en azote et le broutage, les animaux ont pu modifier le génotype des proto-céréales naturellement présentes à Acıgöl, favorisant ainsi l'émergence des céréales modernes.
Les populations d'homininés, présentes dans le sud-ouest de l'Anatolie il y a environ 1,4 millions d'années, ont pu bénéficier de la présence de céréales dans les écosystèmes herbacés.
Que s'est-il passé au Néolithique, lorsque l'Homme est passé du mode de vie de chasseur-cueilleur à celui d'agriculteur, en « inventant » les céréales selon le modèle classique ? A-t-il reproduit les conditions qui existaient il y a deux millions d'années en Anatolie ? Y a-t-il eu une nouvelle étape de la spéciation des céréales, liée à l'homme ?
À l'avenir, d'autres découvertes pourraient confirmer la présence de pollens de proto-céréales au Pléistocène inférieur (dont le début remonte à il y a 2,58 millions d'années) et les scientifiques devront réviser fondamentale leur vision de l'histoire de la nutrition humaine…
Ces travaux ont été menés par le Centre européen de recherche et d'enseignement des géosciences de l'environnement (Université Aix-Marseille).