Les marées créent des ondes très énergétiques (dites « ondes internes de marée ») qui contribuent fortement au mélange vertical de strates d'eau de densités différentes, en particulier dans l'océan profond. Ce mélange est pris en compte dans les modèles d'océan et de système Terre décrivant la période actuelle et les projections à l'échelle du siècle. En revanche, c'est plus rarement le cas dans les simulations climatiques du passé lointain de la Terre.
Pour mieux appréhender l'influence de ces processus, des chercheurs du LSCE ont réalisé deux simulations de l'Éocène Inférieur (de - 56 à - 48 millions d'années) avec le modèle de système Terre IPSL-CM5A2 dans le cadre du projet DeepMIP (Deep-Time Model Intercomparison Project). L'une d'elles inclut le mélange par dissipation locale des ondes internes et l'autre non.
Circulation océanique modifiée
Les scientifiques montrent que l'ajout de ce mélange modifie la circulation océanique profonde et donc la biogéochimie marine à grande échelle, c'est-à-dire les processus cycliques de transfert d'éléments chimiques de l'environnement aux êtres vivants et vice versa. Leurs simulations sans mélange dû aux marées décrivent un océan profond relativement stagnant et peu ventilé dans l'Atlantique Nord, ce qui favorise le développement d'un large volume d'eaux pauvres en oxygène dissous, à la limite de l'anoxie complète.
Or il n'existe pas d'enregistrement faisant état d'une anoxie à cette échelle spatiale dans l'océan profond après le Crétacé (entre - 145 et - 66 millions d'années), ce qui suggère qu'un tel état de l'océan ne s'est probablement jamais produit au cours de l'Éocène inférieur.
Cette observation souligne la nécessité d'intégrer le mélange induit par les marées aux modèles appliqués aux paléoclimats très anciens, notamment pour déterminer les concentrations en CO2 atmosphérique en vigueur à ces époques. L'étude de ces périodes anciennes permet de tester les modèles climatiques dans des contextes très différents de la période actuelle. En particulier, l'Éocène est un cas intéressant : le réchauffement est intervenu dans un contexte différent de celui d'aujourd'hui, mais son amplitude peut se comparer aux projections pessimistes pour le siècle prochain.