La réalisation de dispositifs électroniques innovants et plus compacts requiert de disposer de matériaux fonctionnels en couches ultra-minces, allant des métaux aux semiconducteurs et aux supraconducteurs. Parmi eux, les
cristaux de van der Waals, dont le graphène a été le précurseur, présentent de multiples fonctionnalités et sont donc attractifs. Mais les difficultés résident dans la capacité à les synthétiser sur de grandes surfaces et à stabiliser leurs propriétés magnétiques jusqu’à température ambiante.
Longtemps, la recherche sur les cristaux de van der Waals n’a pas considéré le magnétisme, peut-être parce que la théorie affirmait de longue date que le magnétisme ne pouvait exister dans un matériau bidimensionnel isotrope. Pourtant, en 2017, un ordre magnétique à longue portée a été constaté dans un matériau composé d’une monocouche d’atomes, ce qui a relancé l’intérêt pour ce type de cristaux. Ceux-ci peuvent être étudiés sous la forme de feuillets obtenus par exfoliation de cristaux massifs. Cependant, cette méthode de fabrication produit des feuillets de dimension micrométrique et de forme aléatoire. De plus, l’exploitation de ces feuillets est limitée du fait que l’ordre magnétique ne se maintient qu’à très basse température, inférieure à 100 K. L’intégration de ces nouveaux matériaux pour les dispositifs avancés exploitant l’électronique de spin nécessiterait d’une part d’être en mesure de mettre au point des méthodes de synthèse à large échelle, et d’autre part de faire en sorte que l’ordre magnétique soit conservé à plus haute température, appelée
température de Curie.
Répondant à ces défis, les chercheurs de l’Irig développent depuis quelques années la croissance de cristaux de van der Waals en ayant recours à l’
épitaxie par jets moléculaires (EJM). Ainsi, dernièrement, ils sont parvenus à faire croître des couches minces magnétiques de Fe
5GeTe
2 en utilisant un support de saphir. Grâce à différentes techniques de caractérisations structurales et chimiques, la parfaite cristallinité de ces couches (
Figure) ainsi que leur composition chimique et leur uniformité à l’échelle du centimètre carré ont été constatées, ce qui indique un progrès considérable par rapport aux feuillets micrométriques exfoliés.
Image : Composé Fe5GeTe2 constitué de 4 couches de van der Waals, réalisé par EJM (vue par microscopie électronique). Les trois lignes d’interface atomique (gap de van der Waals) sont remarquablement parfaites. Credit CEA
En termes de fonctionnalité magnétique, le résultat obtenu avec les couches minces de Fe
5GeTe
2 est remarquable dans la mesure où, sous une forme de couche ultramince de deux feuillets, la température de Curie avoisine la température ambiante (229 K). Les chercheurs soulignent la présence surprenante d’un ordre magnétique malgré une anisotropie magnétique quasi nulle, contrairement aux prédictions théoriques. Des analyses complémentaires suggèrent que le magnétisme de ce matériau, en particulier l’évolution de l’aimantation en fonction de la température, ne correspond pas au modèle attendu pour des couches bidimensionnelles.
Ce nouveau matériau magnétique révèle donc un comportement physique inattendu, différent des autres aimants de van der Waals. Sa croissance par EJM ouvre également la voie à la fabrication de multicouches de van der Waals plus complexes, telles que celles requises pour l’électronique et la spintronique.
Cristaux de Van der Waals : couches en millefeuilles cristallins, avec des liaisons faibles entre les couches.
Épitaxie par jets moléculaires (EJM) : les différents éléments constituant le matériau sont évaporés sous ultravide et à très faible vitesse pour maitriser la croissance. Ainsi, les couches minces croissent parfaitement cristallisées sur de grandes surfaces.
Température de Curie : limite haute de température pour conserver un ordre magnétique dans le matériau.