Disposer d'un instrument pour travailler à très basse température (< 100 K) est le vœu de nombreux chercheurs dans le domaine de la Résonance Magnétique Nucléaire (RMN). L'intérêt devient évident pour la
Polarisation Dynamique Nucléaire (DNP), technique d’hyperpolarisation permettant d’augmenter la sensibilité d’une expérience de RMN de plusieurs ordres de grandeur. Cette approche RMN permet alors d’étudier avec une précision inégalée la structure et les défauts des systèmes amorphes ou cristallin, d’explorer la surface ou l’interface de systèmes complexes, biologique / organique / inorganique ou même hybride. Les domaines d’application sont très variés, du développement de matériaux fonctionnels innovants (catalyse, stockage, biomatériaux, etc.) à la compréhension de systèmes biomoléculaires complexes (protéine fibrillaire, protéine membranaire, etc.)
in vitro aujourd’hui et à l’avenir
in cellulo.
En associant les
compétences en cryogénie et en DNP de l’Irig, des chercheurs de notre institut viennent de franchir un cap décisif dans cette quête des basses températures pour la RMN haute résolution et haute sensibilité. Les équipes ont mis au point un système expérimental novateur, composé de deux cryostats en tandem. Le premier, SACRYPAN, génère les flux d’alimentation cryogénique du second, PAVLOT, qui permet de réaliser des expériences de RMN/DNP à basse température. Ce dispositif « cryogen-free » imaginé à l’origine du projet, et ultime objectif des efforts de R&D engagés, permet de travailler sans hélium liquide pour un coût d’exploitation minime (quelques dizaines d’euros par jour). Côté performance, il s’agit de la machine la plus évoluée dans ce domaine capable d’atteindre une température minimale stabilisée de 35 K au niveau du porte-échantillon, quels que soient les débits engagés pour le mettre en rotation. Une nouvelle étape devrait être franchie sous peu avec l'arrivée de SACRYPAN II qui repoussera les limites de températures basses (< 25 K) jamais atteintes avec un instrument autonome en fluide cryogénique.
Schéma explicatif du dispositif Ces développements ont débuté avec la mise au point par les chercheurs de Irig du cryostat NUMOC N2 qui a démontré sa capacité à faire tourner un porte-échantillon avec de l’azote gazeux tempéré par de l’azote liquide (
Figure 1).
Figure 1 : NUMOC N2 Suite à des évolutions majeures, NUMOC, devenu NUMOC He, a permis, dans sa première version dite « à fluides perdus », de franchir un cap supplémentaire en démontrant qu’il était possible de faire tourner un échantillon avec de l'hélium gaz dans la gamme de température 70 K-25 K (
Figure 2).
Figure 2 : NUMOC HeII @ PFNC Dès lors, ce premier jalon a donné aux chercheurs de l’Irig une réelle visibilité dans le domaine de la recherche instrumentale pour la RMN. Par la suite, le cryostat NUMOC He a évolué vers une version II qui a permis de démontrer pour la première fois que la rotation d’un porte-échantillon à plusieurs kilohertz jusqu’à des températures inférieures à 10 K était possible. Des premières mondiales scientifiques ont pu ainsi être réalisées et publiées.
En parallèle de l’exploitation scientifique de ce cryostat, les équipes de l’Irig ont conçu et finalisé SACRYPAN, la dernière version du système, cette fois-ci complètement autonome en fluide cryogénique (
Figure 3).
Figure 3 : SACRYPAN @ PNFC Chaînon indispensable de cette saga et condensé des savoir-faire du DSBT en cryogénie, la sonde ultra-basse température PAVLOT est en cours de développement, en partenariat avec la société Bruker, leader mondial sur le marché de la RMN (
Figure 4).
Figure 4 : La sonde PAVLOT sous l’aimant RMN Dans le cadre de cette collaboration, les chercheurs de l’Irig avaient pour objectif de concevoir toute la partie cryo-mécanique sous vide de l’instrument tandis que l’équipe Bruker avait la charge de développer le système radiofréquence d’analyse de l’échantillon. La tâche des chercheurs fut complexe puisqu’il s’agissait d’intégrer le sous-ensemble du partenaire Bruker dans un cryostat ultra compact limité par la taille du trou de champ de l’aimant RMN. Un défi important a notamment été de développer des actionneurs mécaniques miniatures permettant un accord des fréquences de résonance de la sonde. Ces actionneurs assurent les transitions entre la boîte cryogénique renfermant le dispositif radiofréquence/module de rotation et l’enceinte à vide isolant l’ensemble, puis celles de l’enceinte à vide vers l’extérieur du cryostat. Le même travail a dû être réalisé pour faire transiter les signaux optiques et électriques. Le très haut niveau de performance thermique exigé imposait d’obtenir un vide poussé ne tolérant aucune fuite. Ces obstacles surmontés, il a été fait la démonstration du fonctionnement nominal de l’équipement tel que défini initialement au cahier des charges. La phase d’intégration du système radiofréquence Bruker qui débute permettra de réaliser le premier spectre DNP avec cet instrument.
Une décennie, 7 cryostats et pas moins de 7 bourses nationales et européennes (ANR, ERC, AGIR-PEPS, PTC, Bottom-up) ont été nécessaires pour avancer sur ce projet. Au bout de cette course de fond, c’est un instrument « cryogen-free » protégé par 7 brevets internationaux qui va permettre de faire de la DNP, en routine, et en toute autonomie de fluides cryogéniques.
Les équipes de l’Irig impliquées sont celles du Département des Systèmes Basses Températures (D-SBT) et du laboratoire Modélisation et Exploration des Matériaux (MEM) en ce qui concerne les développements dédiés à la DNP.
La
DNP repose sur l’utilisation d’une source micro-onde permettant de transférer la polarisation du spin électronique de dopants paramagnétiques vers les spins nucléaires environnants et ainsi d’augmenter fortement le signal détecté par RMN. En combinant l’irradiation micro-onde à une rotation pneumatique rapide de l’échantillon (> 10 kHz) à température cryogénique < 100 K, on peut ainsi combiner l’accès à des spectres haute résolution dont la sensibilité est augmentée par plusieurs ordres de grandeur. Aucune offre commerciale ne permet d’accéder à ce régime aujourd’hui.