Le spin de l’électron, propriété quantique par excellence, est au cœur du magnétisme des matériaux ainsi que d’une technologie appelée spintronique, qui exploite des
courants de spin en sus des courants de charge utilisés en électronique conventionnelle. Après avoir révolutionné le stockage numérique avec les disques durs magnétiques, la spintronique pourrait jouer un rôle important dans la réalisation de nouveaux processeurs surpassant la technologie actuelle basée sur le silicium. Pour générer et détecter des courants de spin, la spintronique recourt traditionnellement à des matériaux ferromagnétiques, au sein desquels les spins sont tous alignés suivant la même direction (spin up ou spin down). Le ferromagnétisme a l'avantage de conférer aux dispositifs spintroniques un caractère
non-volatil, qui permet de réduire le coût énergétique de stockage de l’information. Cependant l'énergie nécessaire pour renverser l'aimantation par application d’un champ magnétique ou d’un courant électrique reste importante.
Des chercheurs de notre institut ont mis au point, en collaboration avec l’Unité Mixte de Physique CNRS/Thales, une nouvelle approche permettant de générer et de détecter à façon des courants de spin, en exploitant les propriétés électroniques particulières présentes à l’interface entre deux matériaux non-magnétiques. Dans ces systèmes, l’injection d’un courant de charge dans une direction donnée génère des spins dans une direction transverse ; réciproquement, l’injection de spins selon une direction donne naissance à un courant de charge dans la direction transverse. La façon dont les courants de spin et de charge sont ainsi interconvertis (et en particulier leur signe) est fixée par la nature de l’interface.
En conférant à ces interfaces un caractère ferroélectrique, les chercheurs ont réussi à contrôler via la polarisation électrique le signe de l’interconversion. Pour ce faire, ils ont appliqué un fort champ électrique afin d'induire un caractère ferroélectrique à l'oxyde utilisé, et d'obtenir pour la première fois un contrôle électrique non-volatil de la conversion entre courant de charge et courant de spin. Il devient ainsi possible de coder l'information dans la polarisation de l'élément ferroélectrique, et d'utiliser la conversion spin-charge pour lire cet état de polarisation.
Ces travaux ouvrent la voie vers des dispositifs spintroniques dans lesquelles la non-volatilité serait apportée non pas par le ferromagnétisme mais par la ferroélectricité, et pour lesquels la consommation électrique serait ainsi typiquement réduite d'un facteur 1000.
Exemple de dispositif réalisable grâce aux résultats obtenus par les chercheurs. Un matériau ferromagnétique permet de générer un courant de spin vertical
Js et de l’injecter dans un matériau d’interface dans lequel il est converti en un courant de charge
Jc latéral. Les spins
σ sont représentés par la petite flèche noire et leur direction est fixée par celle de l’aimantation du matériau ferromagnétique
M représentée par la grande flèche blanche. Traditionnellement, pour changer le signe du courant de charge produit, il faut renverser l’aimantation du ferromagnétique en lui appliquant un champ magnétique ou un fort courant. Ici, ceci est réalisé en renversant la polarisation
P du matériau ferroélectrique agissant sur l’interface grâce à un champ électrique.
Courant polarisé en spin : un courant électrique traversant un matériau ferromagnétique va voir sa proportion d'électrons spin down et spin up se modifier. On dit que ces électrons sont polarisés en spin. Par ce fait, on arrive à inscrire une information dans le spin des électrons. Dans un matériau non magnétique, un courant peut être également polarisé en spin par des effets spin-orbite.
Non-volatilité : conservation des données en l'absence d'alimentation électrique.