Grâce à la combinaison d’un modèle de climat couplé
océan-atmosphère et d’un modèle de végétation, des chercheurs du LSCE
(CNRS/CEA/UVSQ), de l’IPHEP (CNRS/Université de Poitiers) et de
l’Université de Liège, ont réussi à simuler les changements
environnementaux intervenus au Miocène moyen en Europe. Leurs résultats
permettent ainsi, pour la première fois, d’identifier les conditions
climatiques (température, concentration de CO2, cycle de l’eau, volume
de glace) nécessaires au développement de forêts subtropicales en
Europe, offrant ainsi un habitat favorable aux hominoïdes en dehors du
territoire africain. Ces résultats viennent d’être publiés en ligne par la revue Geology.
Au
Miocène moyen (17 à 13 Ma environ), de nombreuses données polliniques
et paléobotaniques indiquent, en Europe, la présence de forêts
subtropicales, caractéristiques d’un climat plus chaud et plus humide
qu’aujourd’hui, avec un contraste saisonnier moins marqué. Unique phase
de réchauffement global des 30 derniers millions d’années et période
majeure dans l’histoire des hominoïdes[2], le Miocène moyen marque leur
première dispersion de l’Afrique vers l’Eurasie, et plus
particulièrement vers l’Europe. A l’époque, d’importants changements
environnementaux, au premier rang desquels le développement de forêts
subtropicales, ont offert aux hominoïdes un habitat favorable en Europe.
Jusqu’à
présent peu d’informations étaient disponibles sur ces changements. Les
conditions climatiques, et donc environnementales, de l’époque
restaient inexpliquées. Aucune évaluation de la concentration
atmosphérique en CO2 (variation entre 200 et plus de 700 ppmv[3]) et du
volume de glace en Antarctique (variation entre 25% et 70% du volume de
la calotte est-antarctique actuelle) n’avait été établie de manière
précise et déterminante. Des chercheurs du LSCE (CNRS/CEA/UVSQ), de
l’IPHEP (CNRS/Université de Poitiers) et de l’Université de Liège
viennent d’étudier l’impact de ces deux paramètres sur le climat de
l’époque et ont réalisé des simulations inédites du climat au Miocène
moyen. En se basant sur leurs calculs, les chercheurs ont, pour la
première fois, identifié les conditions climatiques (température, cycle
de l’eau, volume de glace) et environnementales (forêts subtropicales)
favorisant le développement des hominoïdes en Europe. Plus précisément,
ces recherches indiquent quelle gamme de CO2 atmosphérique et quel
volume de calotte de glace antarctique ont pu conduire à l’extension
d’une forêt subtropicale en Europe à l’époque.
En utilisant un
modèle de climat couplé océan-atmosphère et un modèle de végétation
dynamique[4], les chercheurs ont simulé le climat et la végétation en
Europe au Miocène moyen pour différents taux de CO2 et différentes
configurations de la calotte antarctique. Leurs résultats indiquent
qu’un taux de CO2 supérieur à l’actuel est nécessaire pour commencer à
développer une forêt subtropicale en Europe. Plus précisément, la
combinaison d’une concentration en CO2 atmosphérique de 560 ppmv et d’un
faible volume de glace, soit 25% du volume de la calotte
est-antarctique actuelle, contribuerait fortement à produire des
conditions climatiques optimales pour le développement de forêts
subtropicales en Europe.
Les chercheurs ont également découvert
qu’un taux plus fort de CO2 en Europe, équivalent par exemple à 700
ppmv, diminuerait la croissance de végétaux tropicaux. Selon leur
modélisation, ce phénomène s’expliquerait par un effondrement de la
convection en Atlantique Nord qui perturberait l’apport de chaleur par
l’océan sur l’Europe. De plus, ces résultats révèlent l’impact important
au Miocène moyen du volume de glace en Antarctique sur le climat et la
végétation européens. En effet, en présence d’un très faible volume de
glace en Antarctique, voire en son absence, les changements simulés dans
la circulation thermohaline[5] provoqueraient un réchauffement de
l’Europe, pouvant ainsi favoriser la croissance et l’expansion des
forêts subtropicales, tandis qu’une calotte antarctique similaire à
l’actuelle aurait tendance à l’inhiber. Les chercheurs espèrent
désormais expliquer pourquoi le taux de CO2 atmosphérique a augmenté au
Miocène moyen alors que depuis le commencement de l’ère tertiaire, la
température n’a quasiment pas cessé de baisser de même que la
concentration de CO2. De tels résultats constitueraient un élément
majeur pour la compréhension du réchauffement observé au Miocène moyen.
[1] Millions d’années.
[2] Les hominoïdes, ou Grands Singes, regroupent les Hommes, Chimpanzés, Gorilles, Orangs-outans et Gibbons actuels.
[3] Partie par millions par unité de volume.
[4] Modèle de biosphère Terrestre et Modèle de circulation Générale de
l’Océan et Atmosphère FOAM (the Fast Ocean Atmosphere Model).
[5] Il
s’agit de la circulation permanente à grande échelle de l'eau des océans
engendrée par des écarts de température et de salinité des masses
d'eau.
Productivité primaire nette (NPP) moyenne des types de plantes
subtropicaux de CARAIB en Europe, pour les différentes simulations. Les
cartes indiquent le pourcentage de la productivité locale due aux
subtropicaux, ainsi que la localisation des sites fossilifères ayant
livré des indicateurs de forêt subtropicale (points noirs) et des
Hominoïdes (carrés blancs). La barre hachurée (560ppm de CO2 et glace en
Antarctique) correspond à l'effet du climat seul, sans effet de
fertilisation lié à l'augmentation de la concentration en CO2.