Forée sur 3260 mètres de profondeur en 2004 par l'infrastructure de recherche Concordia associant le LSCE, et retraçant les archives atmosphériques de la Terre sur 800 000 ans, la carotte Antarctique EPICA Dome C continue de révéler des informations. Une collaboration internationale conduite par l'IGE, dans le cadre du projet Hotclim financé par le programme Make our planet Great Again, a procédé à de nouvelles analyses isotopiques des bulles d'air piégées dans la glace.
En augmentant le nombre d'échantillons mesurés, les chercheurs ont obtenu un nouvel enregistrement haute résolution du dioxyde de carbone qui leur a permis de découvrir 7 « sauts de CO2 » et d'identifier les 15 précédemment mesurés sur les 500 000 dernières années. Ces évènements correspondent à des augmentations d'une dizaine de ppm (nombre de particules de CO2 observées parmi les millions de particules de l'air) sur quelques dizaines d'années.
A noter : le taux d'augmentation actuelle de la concentration de CO2, causé par les activités humaines est d'environ 2,5 ppm/an, soit dix fois supérieur à ces « sauts ».
Perturbation de la circulation océanique et forte obliquité
Comment expliquer ces phénomènes ? En comparant leurs données avec les précédentes études, les paléoclimatologues ont mis en évidence que 18 des 22 sauts de CO2 se sont produits pendant des périodes de forte obliquité, c'est-à-dire lorsque l'inclinaison de l'axe de rotation de la Terre par rapport au plan de son orbite autour du soleil est élevée.
L'obliquité, qui suit des cycles de 41 000 ans, serait donc un contexte nécessaire pour l'occurrence de ces évènements sans en être toutefois la cause première : « ces sauts sont liés à une perturbation de la circulation océanique atlantique, dont l'origine demeure encore incertaine, et qui , si elle se déroule à une période de forte obliquité, peut déclencher un relargage massif de CO2 dans l'atmosphère par les réservoirs de carbone terrestres », indique Étienne Legrain, chercheur à l'UGA et premier auteur de l'étude.
Les chercheurs se sont en effet appuyés sur de nouvelles simulations effectuées par un modèle de climat pour démontrer que les différents réservoirs de carbone terrestre sont particulièrement sensibles aux changements climatiques induits par les modifications majeures de la circulation océanique Atlantique. « Le relargage massif de CO2 par le réservoir océanique est provoqué directement par la réorganisation de la circulation océanique. Alors que le relargage par le réservoir terrestre, notamment la végétation, apparaît comme une réponse aux changements climatiques induits par la perturbation océanique », précise Amaëlle Landais, chercheuse au LSCE.
Quel lien avec le réchauffement climatique actuel ?
La Terre se trouve actuellement dans une de ces périodes de forte obliquité. Les chercheurs ont donc développé différents scénarios de perturbation de la circulation océanique, celle de l'Atlantic Meridional Overturning Circulation (AMOC). Cela consiste à ajouter artificiellement dans les modèles plus d'eau douce dans l'Atlantique Nord pour entraîner un changement de densité arrêtant le plongement des eaux de surface vers les profondeurs.
Résultat : dans le scénario d'un effondrement de l'AMOC consécutif aux modifications climatiques causées par les activités humaines, une quantité de carbone équivalente à quatre années d'émissions anthropiques mondiales (au rythme de celles de la période 2010-2019) pourrait être relarguée dans l'atmosphère en l'espace de quelques dizaines d'années, se superposant ainsi aux émissions anthropiques actuelles. « Il demeure néanmoins une grande incertitude sur le devenir de l'AMOC en réponse au réchauffement climatique actuel », confient les chercheurs.