« Notre étude jette un pavé dans la mare, jusqu'à repenser la question compliquée de la classification des virus » confie Morgan Gaïa, spécialiste de l'évolution des virus au Genoscope (CEA-Jacob). La communauté distingue principalement les virus à ADN de ceux à ARN. Et parmi les virus ADN double brin, il existe deux lignées dont les ancêtres infectaient déjà Luca, le dernier ancêtre commun universel daté entre 3,8 et 3,3 milliards d'années : une première lignée à laquelle appartiennent notamment les virus de l'herpès ; une seconde comprenant les virus géants qui continuent de fasciner la communauté scientifique dont les équipes du CEA. Étrangement, le nouveau groupe de virus baptisés « mirusvirus » (du latin étrange, surprenant) connecte ces deux univers bien distincts.
C'est en s'attelant au volume colossal de données récoltées depuis 2009 par Tara Océans, via des échantillons de plancton marin intégralement séquencés par le Genoscope, que les chercheurs ont identifié ces mirusvirus. La démarche est la suivante : comme il n'existe pas d'élément universel pour distinguer les virus, les scientifiques utilisent un gène spécifique comme boussole, en l'occurrence l'ARN polymérase, pour guider leur recherche vers des éléments nouveaux. « En réalité, nous recherchions de nouveaux virus géants. C'est ainsi que nous avons repéré ces mirusvirus car ils possèdent de nombreux gènes en commun avec eux, y compris ceux impliqués dans la réplication virale. En revanche, nous ne parvenions pas à détecter leurs gènes impliqués dans la formation de la particule virale qui infecte les cellules hôtes… qui se sont finalement avérés être semblables à ceux des virus de l'herpès », explique Morgan Gaïa.
La question de l'évolution des virus
La découverte de ces virus « chimériques » apporte de nouvelles clés pour mieux comprendre la diversité et l'évolution virale. Elle suggère notamment que les ancêtres de l'énigmatique virus de l'herpès, qui affecte exclusivement le règne animal dont 50 % de la population humaine mondiale, infectaient jadis le plancton marin unicellulaire. Les mirusvirus soulèvent également de nombreuses questions, en particulier sur leur lien avec les virus géants, lesquels sont particulièrement complexes. Par exemple, est-ce que les mirusvius ont pour origine un virus géant qui aurait troqués ses gènes responsables de la particule virale pour ceux des herpès ? Ou est-ce qu'au contraire les virus géants se sont complexifiés en récupérant des gènes de mirusvirus ?
Ces questions sont importantes tant les mirusvirus, très abondants dans le plancton unicellulaire des mers et des océans, jouent un rôle majeur dans ces écosystèmes, notamment en régulant les populations. « Il reste tant à découvrir et comprendre au sujet des mirusvirus. Il n'existe aucune culture connue, nous n'avons aucune image de leur particule virale et nous n'avons pas commencé à les étudier ailleurs que dans les océans », conclut le spécialiste qui insiste sur la nécessité de s'intéresser aux rôles écologiques des virus à l'heure où la connaissance des cycles environnementaux est cruciale.