Les enzymes sont des protéines qui catalysent des réactions au sein du vivant. Les alkyle-transférases en font partie et permettent de transférer, comme leur nom l’indique, un groupe alkyle d’une molécule à une autre. Ce groupe comprend plusieurs molécules faites de carbone et d’hydrogène, notamment les méthyles (CH3-). Ces dernières agissent couramment dans notre organisme pour réguler l’expression de l’ADN. Certains médicaments, notamment contre le cancer, ciblent la méthylation de l’ADN lorsqu’elle est perturbée.
Afin d’étudier les mécanismes des alkyle-transférases, les scientifiques utilisent des sondes chirales radioactives, qui comportent des atomes de tritium. Les molécules chirales ont la propriété d’exister sous deux formes (énantiomères), non superposables à leur image dans un miroir plan, comme deux mains par exemple.
Comme la manipulation de ces sondes reste difficile et délicate et limitée à un nombre restreint de laboratoires, des chercheurs du CEA-Joliot (DMTS) étudient d’autres sondes chirales, qui ne sont pas radioactives. Ils se sont attelés à la synthèse et à la caractérisation d’une sonde chirale avec des atomes de deutérium , contenant un groupement éthyle chiral (C1H2HCH3 ), le [2H]-éthyle tosylate. Véritable prouesse chimique, cette synthèse a permis d’obtenir les deux énantiomères avec une incorporation maximale d’atomes de deutérium à la position désirée. Un second défi a consisté à caractériser leurs propriétés chirales. Pour cela, les auteurs ont utilisé deux techniques spectroscopiques de pointe. La RMN du deutérium a permis de déterminer que l’excès énantiomérique de chaque composé est supérieur à 90%. Quant à la configuration absolue de chaque énantiomère, elle a été définie grâce au dichroïsme circulaire vibrationnel, une technique extrêmement sensible reposant sur la faible différence d’absorption, dans le domaine des transitions vibrationnelles, par une molécule chirale de la lumière circulairement polarisée droite et gauche.
En conclusion, cette étude a permis d’obtenir de façon séparée, via une synthèse performante, les deux énantiomères d’une sonde chirale non radioactive, avec un excès énantiomérique élevé. Plus facile à manipuler que les sondes radioactives, cette sonde sera utile pour étudier des enzymes comme les alkyle-transférases. La compréhension de leur mécanisme réactionnel est, en effet, essentielle pour le développement de nouvelles applications biocatalytiques et thérapeutiques.