La supraconductivité se caractérise par l’absence de résistance électrique et par l’expulsion d’un champ magnétique externe. Cette manifestation spectaculaire de la mécanique quantique jusqu’aux échelles macroscopiques était bien interprétée grâce à la théorie de la supraconductivité développée pour les métaux simples il y a plus de 60 ans. La découverte récente de nouvelles familles de supraconducteurs aux propriétés inattendues est venue défier cette compréhension.
Les chercheurs de l’Irig étudient actuellement le composé UTe
2, un supraconducteur découvert en 2018 par des chercheurs de l’Université du Maryland (USA). Ce métal présente des propriétés surprenantes. Il devient supraconducteur aux températures au-dessous de 1,6 K. Le champ magnétique permettant de supprimer sa supraconductivité est anisotrope, ce qui semble naturel pour un métal avec un structure cristalline orthorhombique comme UTe
2. Toutefois, les intensités de champ requises pour supprimer sa supraconductivité sont bien supérieures à celles nécessaires pour supprimer celle d’un supraconducteur classique. Ces résultats montrent que UTe
2 est un supraconducteur rare, de type « triplet de spin », où les électrons se regroupent par paire en ayant leur spin orienté dans la même direction
[1, 2].
Le composé UTe
2 présente une autre propriété remarquable. Comme dans un matériau supraconducteur classique, la température critique d’apparition de la supraconductivité commence par diminuer sous l’effet du champ magnétique. Puis, étonnamment, le comportement s’inverse : le champ magnétique renforce l’état supraconducteur lorsqu’il dépasse le seuil de 15 T. La température critique continue de croitre jusqu’à des intensités de champ exceptionnellement intenses de 35 T, soit dix à cent fois plus élevées que pour les matériaux conventionnels.
Par ailleurs, considérant la découverte par les chercheurs américains d’une autre phase supraconductrice de UTe
2 à des intensités de champ magnétique encore plus élevées, les chercheurs de l’Irig ont soumis UTe
2 aux champs pulsés du Laboratoire National des Champs Magnétiques Intenses de Toulouse. Ils ont alors mis en évidence un nouvel état supraconducteur au-dessus de 45 T et qui se maintient au moins jusqu'à 60 T. Enfin, sous haute pression, les chercheurs ont également découvert des transitions entre différentes phases supraconductrices, à champ magnétique nul et sous champ.
Jusqu’à présent, les scientifiques estimaient que la supraconductivité était affaiblie jusqu’à être supprimée par l'application de champs magnétiques. Les résultats décrits dans cette étude démontrent que cette propriété n’est pas systématique. Les caractéristiques mises à jour par les chercheurs de l’Irig montrent à quel point UTe
2 est un supraconducteur remarquable, avec un état « triplet de spin » extrêmement rare dans la nature et particulièrement intéressant en raison de sa nature topologique intrinsèque. Ses propriétés totalement inattendues sont la source d’une forte motivation à poursuivre son exploration expérimentale. Leur interprétation constitue également un défi passionnant pour la théorie.
Figure : Dépendance en température du champ magnétique critique de UTe2 appliqué le long de l'axe cristallin b entre une phase métallique et une phase supraconductrice. Le champ magnétique renforce la supraconductivité de 15 T jusqu’à 35 T. L’insert montre la structure orthorhombique de UTe2. Credit CEA