La matière visible ne constitue que 16 % de la masse totale de l'Univers et de manière encore plus surprenante, cette masse majoritairement invisible ne « pèse » que 30 % de son contenu énergétique ! Le reste est sous la forme d'énergie noire, totalement inconnue mais responsable de l'expansion accélérée de l'Univers.
Pour en savoir plus sur la matière et l'énergie noires, les astrophysiciens exploitent les sondages à grande échelle de l'Univers ou encore l'étude détaillée des propriétés des galaxies. Mais ils ne peuvent interpréter leurs observations qu'en les confrontant aux prédictions de modèles théoriques de matière et d'énergie noires. Or de telles simulations requièrent des dizaines de millions d'heures de calcul sur des supercalculateurs.
La collaboration Extreme-Horizon a pu conduire ses simulations sur le supercalculateur Joliot-Curie avec une puissance de 22 pétaflops (1015 opérations flottantes par seconde). Le volume de données numériques a dépassé 3 To (1012 octets) à chaque instant du calcul, justifiant la mise en œuvre de nouvelles techniques d'écriture (code numérique à raffinement adaptatif de maille RAMSES) et de lecture des données de simulations.
Cosmologie : corriger les données issues de la forêt Lyman-alpha
Le premier résultat de la simulation concerne l'interprétation de grandes structures de l'Univers lointain : les « nuages » d'hydrogène intergalactiques. Les astrophysiciens les détectent en mesurant l'absorption de la lumière des quasars – des sources extrêmement lumineuses en raison de la présence d'un trou noir supermassif qui attire la matière dans son disque d'accrétion. Tous les nuages situés le long de la ligne de visée produisent une « raie d'absorption » (Lyman-α) présentant chacune un « décalage vers le rouge » spécifique, en raison de l'expansion de l'Univers. L'ensemble de ces raies forme donc une « forêt » touffue qui révèle la répartition unidimensionnelle des nuages d'hydrogène, et donc de la matière, à des distances comprises entre 10 et 12 milliards d'années-lumière (al).
Or de nombreux trous noirs supermassifs situés entre ces quasars et nous expulsent une quantité considérable d'énergie dans le milieu intergalactique, modifiant son état thermique et les propriétés de la forêt Lyman-alpha : le modèle physique utilisé dans la simulation Extreme-Horizon décrit finement ces rétroactions qui biaisent les estimations des paramètres cosmologiques de quelques pour cent. Le facteur correctif calculé sera crucial en particulier pour l'expérience de nouvelle génération DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument), en Arizona (États-Unis), car il peut dépasser 5 % alors que la précision visée est 1 %.
Des galaxies massives ultra-compactes formées en « essaim d'abeilles »
Par ailleurs, la haute résolution de la simulation Extreme-Horizon dans les régions de faible densité a permis de décrire l'accrétion de gaz « froid » sur les galaxies et la formation des galaxies massives ultra-compactes lorsque l'Univers n'avait que 2 à 3 milliards d'années. Ces galaxies atypiques, observées récemment grâce au radiotélescope Alma (Atacama Large Millimeter/Submillimiter Array), au Chili, se forment par agglomération rapide de nombreuses galaxies très petites. Ce mode de croissance « en essaim d'abeilles » n'a pu être révélé que par la résolution exceptionnelle d'Extreme-Horizon.
Ce projet a été réalisé en collaboration entre le CEA-Irfu, la DAM et l'Institut d'astrophysique de Paris (CNRS, Sorbonne Université).
Grand challenge sur le supercalculateur Joliot-Curie
Conçu par la société Atos pour le Grand équipement national de calcul intensif (Genci), le supercalculateur Joliot-Curie, basé sur l'architecture BullSequana d'Atos, a atteint une puissance crête de 22 pétaflops en 2020.
Extreme-Horizon a été réalisé sur la nouvelle partition AMD-ROME du supercalculateur Joliot-Curie, mis à disposition par Genci et opéré par le CEA dans les locaux de son Très grand centre de calcul (TGCC). Cette simulation a utilisé cinquante millions d'heures de calcul. De nouvelles techniques d'écriture et de lecture des données ont été mises en œuvre afin de réduire l'utilisation de l'espace disque et accélérer l'accès aux données. Ce travail a été accompli grâce au concours de plusieurs instituts et directions du CEA et du Laboratoire en informatique haute performance pour le calcul et la simulation de l'Université Paris-Saclay.
A fait l'objet d'un communiqué de presse.