Extrait de l'article paru dans le n° 247 des Défis du CEA
Voilà l’une des plus branches les plus intrigantes du règne vivant : les tardigrades. On en dénombre à ce jour plus de 1000 espèces qu’on trouve dans de nombreux milieux, depuis les plus hautes montagnes jusqu’au fond des mers. Inutile de le chercher à l’œil nu, l’animal est microscopique. Long d’environ 1 mm, il est dodu, invertébré, pourvu de huit courtes pattes griffues et vit entre un et trois ans. Selon la littérature, cette branche serait vieille d’environ 500 millions d’années. Si ces animaux fascinent tant les chercheurs, c’est parce qu’ils résistent à peu près à tout : tempé- ratures extrêmes (de 80 °C à – 273 °C, soit le zéro absolu), pressions allant jusqu’à 7,5 gigapascals1, rayons X intenses et même vide spatial (on le sait parce qu’une fusée russe en a emporté en 2007). Pour arriver à ces prouesses, le tardigrade a une parade : face à un stress extrême, il se déleste de quasiment toute son eau et stoppe tout métabo- lisme. Dans cet état, il peut survivre pendant un temps indéfini, puis revenir à la vie grâce à une simple goutte d’eau.
Des protéines « en gelée »
Quels en sont les mécanismes moléculaires sous-jacents ? Une équipe du CEA-Irig s’est intéressée à Cahs-8, une protéine propre aux tardigrades, dont on sait qu’elle joue un rôle dans cette réponse aux stress. Cahs-8 fait en réalité partie d’un groupe de protéines partageant une même caractéristique : elles sont parfaitement opérationnelles sans avoir de structure en 3D stable. Les chercheurs ont donc regardé de plus près la forme et le comportement de Cahs-8, en combinant résonance magnétique nucléaire, microscopie à force atomique et techniques de diffraction de la lumière et des rayons X. «
Cahs-8 présente des bras désordonnés et hautement flexibles entourant un long domaine hélicoïdal central. Ce dernier a un comportement très dépendant de la température. En condition de stress, les protéines Cahs-8 peuvent s’associer via une partie de leur domaine hélicoïdal pour former des fibres, lesquelles forment à leur tour un hydrogel », explique Martin Blackledge, du CEA-Irig. Pour comprendre le rôle de ce gel, les chercheurs ont eu l’idée d’y piéger d’autres protéines : elles y ont conservé une structure intacte, tout en ayant des mouvements ralentis. Ils font aujourd’hui l’hypothèse que la formation de ce gel à l’intérieur des cellules du tardigrade permettrait d’emprisonner et de protéger ses biomolécules pour les protéger des effets délétères des stress environnementaux.
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