Dans le contexte d’une transition énergétique incontournable qui impose de progresser vers une décarbonation de la production d’énergie, les filières renouvelables se développent, parmi lesquelles les technologies solaires. Le soleil fournit chaque année à la Terre une quantité d’énergie équivalente à plus de 8 000 fois la consommation énergétique mondiale. Mais cette énergie est peu concentrée d’où les enjeux technologiques que représente sa récupération efficace. En 2018, le solaire (photovoltaïque et thermique) représentait 3 % de la production mondiale d’électricité. Au cours des dix dernières années son taux de croissance est proche de 50 %, essentiellement du fait du développement massif du photovoltaïque. Le semi-conducteur le plus couramment utilisé dans les technologies photovoltaïques est le silicium. Mais depuis une dizaine d’années des travaux importants sont consacrés à d'autres matériaux très prometteurs comme les
pérovskites hybrides halogénées. Ceux-ci présentent toutefois des défis de stabilité et de reproductibilité à relever.
MAPbI
3 (MA = CH
3NH
3) est le matériau pérovskite emblématique pour ses applications dans le domaine photovoltaïque. Mais la faible valeur de son énergie de formation entraîne une dépendance forte aux conditions de synthèse, ce qui fait de la reproductibilité des propriétés chimiques et structurales des couches minces synthétisées, un casse-tête pour les expérimentateurs. Or, la maîtrise de ces propriétés est un prérequis à l'optimisation des performances des cellules photovoltaïques.
Dans le cadre d’une
collaboration, des équipes de l’Irig et de l’Institut National de l’Énergie Solaire (Ines) ont étudié les mécanismes de formation de couches minces de MAPbI
3. Elles ont mis en évidence les effets de l'instabilité intrinsèque de la pérovskite iodée qui se décompose sous l'effet d'une contrainte. Dans cette étude, les chercheurs élucident par diffraction des rayons X (DRX)
in situ, le processus de cristallisation de couches minces de MAPbI
3 en présence de chlore. Le chlore est effectivement connu pour avoir un effet bénéfique sur la qualité cristalline, les mécanismes en jeu n'étant toutefois pas encore clairement identifiés.
Ces équipes démontrent (
Figure 1) que l'iodure de méthyl ammonium (MAI) et le chlorure de plomb PbCl
2 forment spontanément une couche de pérovskite MAPbCl
3, qui se transforme progressivement en une couche de MAPbI
3, par substitution des halogènes lors du recuit thermique à 100 °C. La couche de MAPbI
3 ainsi formée est fortement contrainte du fait de la différence de paramètre de maille entre les deux pérovskites (environ 10 %) si bien qu'au-delà d'un seuil critique, la pérovskite se décompose pour former, entre autres, de l’iodure de plomb Pbl
2.
Des cellules photovoltaïques ont été réalisées à partir de couches minces de MAPbI
3 dont la synthèse a été arrêtée à différents stades du processus de substitution ionique. L’influence de la composition chimique (présence ou non de PbI
2) et des propriétés cristallines (notamment la déformation) de la couche active sur les performances des dispositifs a ainsi pu être étudiée.
Figure 1 : Évolution des diffractogrammes obtenus au cours du recuit à 100 °C. Les couleurs représentent les étapes successives au cours du recuit : partant d’une couche de MAPbCl3 la première étape (marron foncé) est caractérisée par la coexistence des deux pérovskites MAPbCl3 et MAPbI3 ; elle est suivie par une étape où se forme en plus la phase de dégradation PbI2 (marron clair) ; la pérovskite chlorée finit ensuite par disparaître dans une troisième étape (vert).Par ailleurs, comme fréquemment observé avec les composés de structure pérovskite, MAPbI
3 est un
matériau ferroïque : il subit vers 57 °C une
transition de phase cubique/tétragonale ferroélastique (
Figure 2). Les chercheurs ont mis en évidence une conséquence importante de cette ferroélasticité qui induit une variabilité des propriétés cristallines : l’état de contrainte de MAPbI
3 atteint lors de sa formation à 100 °C, dans la phase cubique, conditionne l’orientation cristalline de la couche à température ambiante, dans la phase tétragonale.
Figure 2 : Vers 57 °C le matériau MAPbI3 subit une transition de phase structurale passant d’une symétrie cubique à haute température à une symétrie tétragonale.Cette étude confirme le caractère intrinsèque de l'instabilité et de la variabilité structurale des couches minces de MAPbI
3. L'introduction de différents types de cations au lieu du seul MA est une voie prometteuse d'amélioration de la stabilité. L'étude de tels matériaux complexes bénéficiera de l'approche développée dans cette étude corrélant mécanismes de cristallisation, propriétés structurales et efficacité des dispositifs.
La structure cristalline
pérovskite est commune à de nombreux oxydes, de formule générale ABO3. Ce type de matériaux suscite depuis longtemps un grand intérêt du fait notamment de fréquentes propriétés ferroïques. Pour les applications photovoltaïques, il ne s’agit pas d’oxydes mais de matériaux dans lesquels A et B sont, respectivement, des ions organiques et inorganiques et l’oxygène est remplacé par des halogènes, comme dans le composé emblématique MAPbI3 (MA = CH3NH3).
Collaboration : équipes SGX et STEP, respectivement des laboratoires MEM et SyMMES de l’Irig, et équipe SMPV/LMPO de l’Institut National de l’Énergie Solaire.
Un
matériau ferroïque possède plusieurs états stables énergétiquement équivalents. Le passage d’un état stable à un autre peut être obtenu par application temporaire d’une force extérieure magnétique, électrique ou mécanique respectivement dans le cas de matériaux ferromagnétiques, ferroélectriques et ferroélastiques.
MAPbI3 et
ferroélasticité. Lors de la transition de phase structurale que subit MAPbI3 vers 57 °C, la transformation de la maille cubique hautement symétrique en maille tétragonale moins symétrique induit, pour une orientation spécifique du réseau cubique, plusieurs orientations possibles équivalentes du réseau tétragonal, d’où l’existence de défauts cristallins appelés mâcles. Un matériau ferroélastique se caractérise, entre autres, par le fait que dans la phase de basse symétrie, l’application d’une contrainte peut transformer l’orientation d’un domaine cristallin en une orientation différente équivalente.