Au cours des 800 derniers milliers d'années, la Terre a connu plusieurs déglaciations associées à une hausse rapide en CO2 atmosphérique de l'ordre de 80 à 100 ppm (parties par million). Pour comparaison, ces hausses sont cependant plus modestes que l'augmentation actuelle d'origine anthropique de l'ordre de 120 ppm. Elles peuvent avoir eu de multiples causes qui restent difficiles à départager.
L'une d'elles est imputable à l'activité globale des êtres vivants qui, pour résumer, puisent dans le CO2 dans l'atmosphère (végétation, organismes à coquilles carbonatées dans l'océan, etc.). Il est donc intéressant de reconstituer les variations de la productivité biologique à l'échelle des grands cycles climatiques pour évaluer son impact sur l'évolution de la teneur atmosphérique en CO2.
Parmi les neuf dernières déglaciations, la « terminaison V », qui remonte à près de 430 milliers d'années, est unique à plus d'un titre. Elle est précédée de la période glaciaire la plus froide et suivie de l'interglaciaire le plus long (près de 30 000 ans contre 10 000 ans en moyenne) depuis 800 000 ans ! Elle est enfin accompagnée d'une variation d'ampleur inédite de la teneur atmosphérique en CO2 qui persistera au cours des cycles suivants.
Pour estimer l'impact de la biosphère sur ces variations de grande amplitude en CO2 atmosphérique, les scientifiques ont étudié un traceur spécifique de la productivité de la biosphère passée : « delta17O » qui combine trois isotopes de l'oxygène atmosphérique (16, 17 et 18).
Ils ont développé pour cela une ligne de mesure isotopique de l'oxygène 17 et 18 pour les bulles d'air piégées dans la glace de la carotte Antarctique Epica Dome C, sur la période compris entre - 445 000 ans et - 405 000 ans.
Leurs travaux révèlent un excédent de productivité biosphérique de 10 à 30% durant la terminaison V et le début de l'interglaciaire suivant par rapport à la période préindustrielle. Ce niveau est le plus haut jamais observé durant les derniers 450 000 ans.
Pour cerner plus précisément l'origine de cet excédent, ces données globales ont été comparées à des données locales, comme les pollens sur les continents ou le carbonate de calcium (CaCO3) dans l'océan. La productivité terrestre semble avoir eu une contribution dominante, favorisée par un contexte astronomique propice. En effet, l'orbite de la Terre autour du Soleil étant alors faiblement elliptique, les étés allongés ont favorisé le développement de la végétation. Par ailleurs, les sédiments marins ont enregistré une forte production carbonatée, principalement liée à l'augmentation de l'abondance de microalgues (coccolithophoridés) dans les océans des hautes et basses latitudes.
La forte productivité globale de la biosphère au début de l'interglaciaire aurait modéré la teneur en CO2 atmosphérique et aurait donc joué un rôle important sur le climat.
De nouvelles données à l'échelle régionale permettront de contraindre encore plus fortement son impact sur les variations de CO2 atmosphérique.
Ces recherches résultent d'une collaboration entre le LSCE (CEA, CNRS, UVSQ), le Laboratoire géosciences Paris-Sud (CNRS, Université Paris Saclay) et le Niels Bohr Institute de l'Université de Copenhague (Danemark).