L’objectif de neutralité carbone inscrit dans la loi française, vise une réduction des émissions de CO2 en France à 80
MtCO2eq en 2050 contre 445 MtCO2eq émises en 2018. Or une partie de ces émissions, liée à l’utilisation de ressources fossiles dans les secteurs de la chimie (production de plastiques, de produits agrochimiques, de solvants), de l’acier et des carburants pour le transport de longue distance (aérien, maritime ou routier), ne peut être évitée, notamment parce que ces produits contiennent du carbone. C’est dans ce contexte que s’inscrit la mise en place d’une
économie circulaire du carbone,
qui a pour objectif de fermer le cycle du carbone, c’est-à-dire de valoriser le carbone présent sur la croûte terrestre et dans l’atmosphère en substitution du carbone issu de l’extraction des ressources fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon).
L’économie circulaire du carbone regroupe l’ensemble des technologies de transformation du CO2 et de ses dérivés en produits synthétiques utiles, à partir d’énergie nucléaire et renouvelables, visant à atteindre ainsi une neutralité carbone avec un impact environnemental et sociétal favorable.
Les recherches du CEA dédiées à ces thématiques visent à relever les défis scientifiques et techniques associés aux enjeux de l'économie circulaire du carbone. Le CEA explore trois
axes principaux :
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la transformation directe du dioxyde de carbone (CO2) par l'hydrogène (H2) pour produire des combustibles ou carburants de synthèse liquides ou gazeux, ainsi que des précurseurs carbonés pour la chimie ou les matériaux plastiques,
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convertir directement le CO2 en produits chimiques ou carburants à partir d’énergie lumineuse et électrique en s’inspirant par exemple de la photosynthèse des plantes,
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utiliser les microorganismes biologiques comme les microalgues pour produire des
biocarburants de 3e génération.
valoriser
Valoriser et recycler le CO2 atmosphérique et industriel
Les
approches de capture et d’utilisation du CO2 (Carbon Capture & Utilization, CCU) constituent le socle des recherches du CEA sur l’économie circulaire du carbone. Elles se focalisent sur le développement de technologies capables de valoriser le CO2 atmosphérique ou industriel, c’est-à-dire capturé en sortie d’usine (aciérie, cimenterie, chimie, centrale de combustion de biomasse et déchets, etc.) pour le recycler en produits utiles tels que des produits chimiques, des carburants de synthèse liquides ou gazeux, en utilisant des sources d’énergies bas-carbone.
Produire des carburants de synthèse
Le principe d’un
combustible ou carburant de synthèse, encore appelé électro-carburant, e-fuel ou powerfuel, est de fabriquer un carburant à partir d’électricité et de CO2. La première étape consiste à produire de
l’hydrogène bas carbone par
électrolyse de l’eau à partir d’électricité d’origine nucléaire et/ou renouvelable. On fait ensuite réagir cet hydrogène bas carbone avec du CO2 capté soit par un processus industriel au niveau d’une usine soit directement dans l’atmosphère. Cette
réaction chimique « thermocatalytique » réalisée dans des réacteurs développés au
CEA-Liten permet de convertir l’hydrogène et le carbone en molécules d’intérêt. Elles peuvent être gazeuses telles que le méthane ou liquides telles que le méthanol, directement utilisables sur un véhicule thermique. Des étapes de raffinage permettent l'obtention de molécules plus complexes, comme le gasoil ou le kérosène. C’est ce que l’on appelle respectivement le
power-to-gas et le power-to-liquid.
Les équipes du CEA possèdent de solides compétences dans la conception des réacteurs et une expertise sur les procédés de thermocatalyse permettant de faire réagir le CO2 et l’hydrogène sous pression et température , pour la production du méthane. Elles déclinent ces compétences dans le projet de démonstrateur industriel de
power-to-gas,
Jupiter 1 000 qui vise à produire du méthane de synthèse par méthanation et l’injecter dans le réseau de transport de gaz naturel. Ce démonstrateur est installé dans le port de Fos-sur-Mer, dans un environnement industriel permettant son fonctionnement avec du CO2 fourni pas une industrie métalurgique voisine.
Préparer et convertir la biomasse
Les
résidus de biomasse (forme sèche ou humide) et les déchets sont une source concentrée de carbone et d’énergie intéressante à considérer comme ressources dans l’économie circulaire du carbone. Cette biomasse peut être convertie soit directement en molécule exploitable et injectable sur un réseau comme le méthane (via un procédé de gazéification par exemple) ou en molécule intermédiaire qui va être utilisée par les voies
power-to-gas /liquid. Dans ce dernier cas, la biomasse est convertie grâce à un procédé de gazéification, en gaz de synthèse (mélange d’hydrogène et de monoxyde de carbone (CO) que l’on injecte dans les réacteurs de thermocatalyse. On procède ainsi à l’hydrogénation du CO pour former un gaz ou un liquide énergétique, tout comme avec du CO2. La biomasse, à la suite de sa thermoconversion en gaz de synthèse peut donc également permettre la
production de carburants de synthèse et compléter les sources de CO2 et d’hydrogène bas carbone.
Dans ce domaine, le CEA développe différents procédés tels que la
torréfaction, la gazéification et divers procédés hydrothermaux afin de valoriser biomasse et déchets, qu’ils se présentent sous forme sèche (résidus agricoles ou forestiers, pneus et plastiques) ou humide (microalgues, boues de stations d’épuration ou effluents agro-industriels). Au-delà d’un service énergétique associé à la production de carburants, ces procédés développés sur le centre CEA de Grenoble assurent également un service environnemental en réduisant l’impact de certains déchets.
Plate-forme Bioressources. Manipulations sur la partie haute du torréfacteur. © Dominique Guillaudin / CEA
Par ailleurs, les déchets plastiques sont considérés comme une
ressource exploitable en complément de la biomasse. Ils contiennent de l’énergie et du carbone qui représentent des alternatives exploitables pour fabriquer de nouveaux produits sans consommer de ressources fossiles. On peut soit les dépolymériser, c’est-à-dire les décomposer en molécules plus simples (monomères) par voie chimique ou biologique pour re-fabriquer de nouveaux plastiques à partir de ces monomères, soit procéder à une thermoconversion (pyrogazéification) qui fournira du CO ou CO2 ainsi que de l’hydrogène (H2) qui pourront être valorisés autrement.
Produire des carburants solaires
Exploiter directement
l’énergie solaire pour
produire de
l’hydrogène ou des
molécules carbonées d’intérêt, sans production intermédiaire d’électricité, grâce à la photosynthèse artificielle : tel est l’enjeu des carburants solaires. Les équipes du CEA s’inspirent du fonctionnement d’enzymes naturelles, telles que les hydrogénases, pour concevoir des catalyseurs alternatifs pour la production d’hydrogène. Elles ont ainsi mis au point un dispositif complet : une cellule « photo-électrocatalytique », produisant de l’hydrogène à partir d’eau et de lumière, ce qui a donné lieu à la réalisation de première cellule photo-électrochimique bio-inspirée française, en 2019. Ces stratégies, pour certaines, permettent la synthèse d’hydrogène mais également de molécules carbonées telles que le méthane, le méthanol ou du monoxyde de carbone, molécules de base pour les secteurs de l’énergie et la chimie.
Les objectifs des recherches du CEA dans ce domaine consistent à
améliorer le rendement de cette conversionde l’énergie solaire en énergie chimique en développant notamment de nouveaux matériaux et des catalyseurs innovants. Leur conception doit limiter l’utilisation des éléments rares ou critiques, laissant progressivement la place à des métaux abondants et moins coûteux pour garantir une industrialisation à grande échelle de ces technologies. Ces recherches s’appuient sur des outils de modélisation, qui permettent d’imaginer les configurations les plus réalistes pour les choix de catalyseurs dédiés à ces applications et d’aider à la compréhension des mécanismes fondamentaux de ces réactions afin d’optimiser leur rendement.
biocarburants
Développer des biocarburants de 3e génération
Les biocarburants de 3e génération sont intéressants car ils ont la spécificité de ne pas exploiter la biomasse agricole mais des microalgues cultivées spécifiquement à cet effet afin d’en extraire les lipides (huiles) qu’elles contiennent. Le rendement de production de ces huiles par hectare de culture est supérieur à celui obtenu dans les cultures oléagineuses traditionnelles (palme, colza). Pendant leur croissance, les microalgues absorbent de grandes quantités de CO2 et d’énergie solaire qu’elles convertissent en biomasse et en lipides. Par conséquent, lors de la combustion de ce biocarburant issu du raffinage de ces lipides, le CO2 n’est réémis dans l’atmosphère que là où il a été capté.
Ces carburants doivent permettre une réduction des émissions de CO2 d’au moins 70 % par rapport à leur équivalent d’origine fossile.
Les équipes du CEA
recherchent de nouvelles souches de microalgues toujours plus productives et plus gourmandes en CO2 et optimisent les milieux et procédés de culture pour rendre ces biocarburants compétitifs, en particulier au travers d’une collaboration avec Total Energies. Pour le moment, les étapes de culture, de récolte, d’extraction et de conversion de lipides sont plus coûteuses que les carburants pétroliers.
Plate-forme Héliobiotec. Cultures sur air enrichi en CO2 © G.Lesénéchal / CEA
Néanmoins, les équipes du CEA progressent en améliorant régulièrement la
productivité des microalgues. Elles ont également découvert une enzyme prometteuse, la
FAP (pour Fatty Acid Photodecarboxylase) qui permet aux microalgues de transformer certains de leurs lipides directement en hydrocarbures, possiblement volatils – ce qui pourrait contribuer à accélérer l’arrivée de ces carburants alternatifs sur le marché en réduisant le nombre d’étapes industrielles de raffinage.
Une autre piste suivie est celle de
l’ingénierie biologique des microorganismes pour la production de molécules carbonées d’intérêt. En effet, d’autres microorganismes que les microalgues (bactéries, archées…) ayant la capacité de fixer le CO2, sont capables de
produire des molécules énergétiques. Une équipe du
CEA-Genoscope étudie des bactéries pouvant produire des carburants à partir de CO2 sans nécessité d’une source lumineuse (non photosynthétique). C’est l’objet du projet européen eForFuel, une approche bio-hybride combinant biologie et électrochimie : le CO2 est d’abord réduit par voie chimique en acide formique qui alimente des bactéries pour produire en retour des composés chimiques volatils comme l’isobutène ou le propane. Par ailleurs, les archées sont étudiées au
CEA-IRIG pour leurs propriétés biocatalytiques au service de la production de méthane à partir de CO2 et d’hydrogène. Il s’agit là d’un procédé de
bio-méthanation, approche alternative aux stratégies de méthanation thermocatalytiques.