Différents moyens de stockage sont utilisés pour amener de la flexibilité au réseau : l’électricité est stockée en période de surproduction et restituée en fonction des besoins de consommation. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer :
- le stockage hydraulique par les STEP (station de transfert d’énergie par pompage) ;
- le stockage mécanique par volant d’inertie ;
- le stockage électrochimique ;
- le stockage par la chaleur ;
- le stockage chimique ;
- le stockage à inductance supraconductrice.
Le stockage hydraulique est la solution la plus répandue. Mais, il y a peu de sites disponibles en France pour accueillir de nouvelles capacités. Les volants d’inertie sont utilisés pour répondre à des demandes de puissance importantes sur de courtes durées. Ces deux solutions sont matures et ne font plus aujourd’hui l’objet de travaux de recherche conséquents. Le stockage à inductance magnétique qui consiste à stocker l’énergie sous une forme magnétique grâce à l’utilisation de bobines supraconductrices est une technologie encore au stade de démonstration préindustrielle et fait l’objet de peu de recherches. Les technologies les plus étudiées aujourd’hui pour des applications à court-moyen termes sont les stockages par voie électrochimique, chimique via l’hydrogène, et thermique.
Stockage électrochimique
Le stockage stationnaire de l’électricité par des batteries est une solution déjà largement déployée dans un certain nombre de pays. La très grande majorité des capacités installées reposent sur la technologie des batteries au lithium-ion. Cette technologie s’impose en raison de son coût de commercialisation en forte diminution du fait de la demande croissante du secteur des véhicules électriques. La France affiche une feuille de route ambitieuse avec un objectif d’installation de 1GW/1,5GWh de stockage d’ici 2023. Cet objectif entraîne une relance de la filière du stockage avec plusieurs acteurs français qui peuvent se positionner : fabricants de batterie, intégrateurs, recycleurs…
Le CEA a engagé depuis plusieurs années un programme de recherche ayant pour objectif de rendre le stockage stationnaire par batterie déployable sur le marché national, et aussi à l’export. Ce programme comprend plusieurs volets sur différentes échelles de temps : développer l’intégration de cellules Li-ion dans un pack équipé d’un système de gestion intelligent pour du court terme ; rechercher une technologie alternative au Li-ion conventionnel offrant de meilleures performances en puissance et en cyclabilité pour du moyen terme ; préparer les technologies totalement en rupture permettant d’augmenter considérablement les densités d’énergie pour le long terme.
Le pack intelligent
Utiliser une batterie comme moyen de stockage stationnaire peut s’apparenter à un surcoût dans la mesure où d’autres solutions de stockage existent. De nombreux travaux sont donc entrepris pour faire baisser le coût de l’énergie transitée dans le pack (appelé LCOS pour Levelized Cost of Storage). Ce coût intègre non seulement l’investissement initial de fabrication des composants (CAPEX) du pack, mais aussi celui de leur maintenance (OPEX) et tient compte du nombre de kWh déchargés sur la durée de vie du système. Plusieurs pistes sont explorées pour diminuer le LCOS :
- réduire le CAPEX en particulier en jouant sur les équipements associés à l’accumulateur et constituant le pack (convertisseur, système de refroidissement…) et investiguer le principe d’une seconde vie pour les batteries ;
- minimiser l’OPEX par le développement d’outils de diagnostic permettant de faire de la maintenance préventive ;
- augmenter les kWh restitués en allongeant la durée de vie (optimisation des matériaux et gestion de la batterie en cours d’utilisation).
L’atteinte de ces trois objectifs nécessite de connaître parfaitement les pertes de performances des différents composants constituant le pack, afin de définir des stratégies pour y remédier. Des travaux conséquents sont donc engagés sur l’étude de la dégradation des composants en combinant des approches de modélisation, de tests et de caractérisation avancée.
De très nombreuses cellules commerciales ont été testées ces dernières années à partir de bancs de tests situés à l’INES pour mesurer leurs pertes de performances sous différentes conditions : en calendaire (au repos), en fonctionnement, avec différents niveaux de charge/décharge, sous différentes températures ou encore différentes gammes d’état de charge de fonctionnement (fig. 1). Les cellules sont « autopsiées » à l’issue des tests pour déterminer le mécanisme responsable de leur dégradation. Nous avons, par exemple, mis en évidence la formation de lithium métallique au cours d’un vieillissement calendaire sous une température de 45°C de cellules chargées, conséquence de l’apparition de bulles issues de la décomposition d’un composant de l’électrolyte (fig. 2). Des calculs de simulation ont conforté l’hypothèse du mécanisme en jeu émise à l’issue des caractérisations réalisées. Le composant responsable de cette dégradation est aujourd’hui identifié, et le fabricant cherche à le remplacer par un additif plus stable.
Fig. 1 : Illustration des essais de performances en endurance présentant l’évolution de l’état de santé (SOH) de plusieurs familles de batterie Li-ion en vieillissement en cyclage à 1C/1C, 45°C, 100 % de profondeur de décharge.
Fig. 2 : Observation de dépôts de lithium métal localisés au pourtour de zones concentriques
Une autre exploitation de ces nombreux tests consiste à déterminer une plage de fonctionnement optimale (températures, fenêtre d’état de charge…). En développant des capteurs capables de mesurer l’état de santé de la batterie en cours d’utilisation (température, impédance…), il est possible de monitorer celle-ci par l’intermédiaire d’un système de gestion appelé BMS (Battery Management System). Le BMS est un système complet, comprenant les fonctions de mesure, d’équilibrage, d’algorithme d’états de la batterie et de sécurité, et également de commande active. Les recherches portent en particulier sur les algorithmes de gestion, et sur l’électronique de puissance. Le BMS peut également intervenir pour améliorer la sécurité des packs. En effet, les batteries présentent un risque d’emballement thermique. En disposant de capteurs (réels ou virtuels) capables de détecter au plus tôt des augmentations de température ou les précurseurs d’un risque d’emballement (court-circuit interne par croissance dendritique), il est alors possible de déclencher des actuateurs de protection, par exemple en by-passant la cellule défectueuse, ou en activant un système de refroidissement.
Fig. 3 : montage d’un pack batteries © P. Aravian / CEA
Les technologies alternatives au Li-ion conventionnel
L’une des technologies alternatives actuellement à l’étude est basée sur l’emploi d’ions sodium et du couple électrochimique NVPF/Carbone Dur. Cette technologie représente une alternative intéressante en termes de puissance et cyclabilité, ce qui la rend potentiellement intéressante pour les applications stationnaires. Le CEA travaille en étroite collaboration avec les partenaires académiques du réseau RS2E au développement de cette technologie. Des accumulateurs ont déjà été réalisés à un format industriel (fig. 4).
Fig. 4 : Accumulateur sodium-ion © V. Guilly / CEA
Si les premiers résultats semblent très prometteurs, les travaux doivent se poursuivre pour qualifier cette nouvelle technologie, et optimiser les coûts de fabrication. A plus long terme, d’autres technologies sont envisagées comme la famille des lithium – métal qui offre des densités d’énergie largement supérieures, mais qui souffre d’un risque de court-circuit lié à la formation de dendrite métallique en cyclage prolongé, d’autant plus que le régime de charge est élevé. De nouvelles technologies de type redox flow organique sont également à l’étude pour les applications stationnaires. La France dispose d’un acteur positionné sur ce segment, ayant récemment mis au point un premier démonstrateur de 10 kW.
Convergence mobilité-stationnaire
Si vous allez en Corse vous trouverez ces stations de recharge électrique au design moderne recouvertes de panneaux solaires (fig. 5). L’utilité de ces stations est d’atteindre une recharge 100% solaire : la consommation des véhicules est intégralement assurée par la production solaire. Pour atteindre cet objectif sans avoir recours à des batteries de fortes capacités aptes à gérer le décalage temporel entre production et consommation de façon autonome, le choix a été fait d’opter pour des batteries de faibles capacités, et de raccorder les stations au réseau électrique existant. Un système de gestion intelligent pilote alors le réseau de stations, en arbitrant entre injection sur le réseau et stockage dans les batteries stationnaires, de sorte qu’au final, l’objectif du 100% est atteignable avec un nombre suffisant de stations.
Fig. 5 : Station Parasol implantée à Bastia, collaboration avec Driveco
Stockage chimique par l’hydrogène
L’hydrogène utilisé comme vecteur énergétique peut amener de la flexibilité au réseau électrique. En cas de surplus d’électricité, celle-ci est utilisée pour produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau. L’hydrogène généré est alors stocké sous forme gazeuse dans des réservoirs pressurisés, ou sous forme solide dans des hydrures (technologie en voie de développement). Il peut ensuite être utilisé pour des applications industrielles, consommé localement en alimentant des véhicules à hydrogène, injecté dans un réseau de gaz naturel, combiné à du CO2 pour générer du méthane de synthèse, ou retransformé en électricité par une pile à combustible. Ce dernier cas est envisagé pour des zones dites non interconnectées, c’est-à-dire ne pouvant être raccordées à un réseau de distribution générale.
Le CEA est partenaire de plusieurs projets permettant de tester l’utilisation de l’hydrogène dans ces différents usages. Nous pouvons citer le projet JUPITER 1000 (fig.6) qui a pour objectif de démontrer la viabilité économique de la chaine complète du concept « Power To Gas » à l’échelle du MWe : production d’hydrogène dans des électrolyseurs alimentés par de l’électricité d’origine 100% renouvelable, transformation en méthane de synthèse en le combinant à du CO2 issu de fumées d’usine à proximité, et injection de ce méthane dans le réseau de gaz naturel.
Fig. 6 : Maquette du site JUPITER 1000
Stockage par la chaleur
Le stockage d’énergie électrique massif sous forme de chaleur est envisagé depuis de nombreuses années, soit comme apport secondaire, soit comme vecteur principal. L’intérêt de cette solution est la simplicité du stockage de chaleur sous forme sensible c’est à dire d’un liquide ou d’un solide chaud. Le frein à son développement est le faible rendement de la conversion de chaleur en électricité (autour de 30 % avec une forte dépendance au niveau de température). Différentes approches sont alors possibles : améliorer le rendement global du procédé (électrique à électrique) en travaillant avec une « pompe à chaleur » ou tenter de limiter les coûts des équipements pour rendre acceptable un rendement faible.
Dans l’objectif de limitation des coûts, nous proposons le stockage sensible sur lit de roches. C’est l’option choisie pour un concept technologique développé dans le cadre d’un projet de recherche en partenariat entre la société Babcock Watson et le CEA Liten avec une huile thermique comme fluide caloporteur à 350°C, un réservoir de stockage de 10Mh (fig. 7), des échangeurs pour vaporiser l’eau sous pression et une turbine à vapeur. Le rendement atteint est alors de l’ordre de 25 %.
Un autre concept, connu sous le nom de pompage thermique, cherche au contraire à atteindre le meilleur rendement possible en travaillant sur le principe d’une pompe à chaleur très haute température (800°C) combinée à une turbine à gaz. Dans ce cas, il est possible d’atteindre un rendement de 65 %. Il s’agit d’un cycle fermé, réversible avec des turbomachines plutôt de forte puissance (100MW), et le fluide de travail est un gaz neutre sous quelques bars de pression. Le stockage de chaleur est assuré via deux enceintes stockant respectivement le point chaud et le point froid du cycle. C’est évidemment la température la plus haute, 800°C, qui conditionne le choix du matériau solide de remplissage des enceintes : le basalte, qui a connu des températures plus élevées au cours de sa formation, est tout fait adapté.
Fig. 7 : Réservoir de stockage de chaleur et matériaux envisagés
Dimensionnement d’une solution de stockage
Comme on le voit, plusieurs solutions de stockage peuvent être mises en œuvre pour apporter de la flexibilité au réseau électrique. Le choix des technologies et leur dimensionnement (puissance, capacité) est le résultat d’une optimisation multicritères : technique, économique, et satisfaction des usagers. Le CEA a développé des outils de simulation permettant de modéliser et simuler le fonctionnement de micro-réseaux intégrant des sources de production renouvelables, des batteries, une chaine hydrogène et des usagers. Plusieurs dimensionnements des moyens de stockage peuvent être réalisés afin d’en évaluer l’intérêt technico-économique pour un système, une fonction ou une consommation donnée.
Nous avons, par exemple, traité le cas d’une installation portuaire en Corse, pour laquelle a été évalué l’intérêt du stockage pour maximiser l’autoconsommation d’énergie photovoltaïque et limiter le recours au réseau électrique aux heures de pointe. La viabilité économique exprimée en coût actualisé de l’énergie (coût Capex + Opex divisé par la quantité d’énergie produite sur la durée de vie des équipements, LCE) pour des solutions batteries seules ou hybridation batterie/hydrogène a été évaluée pour différents champs PV et une limite de soutirage au réseau de distribution principal de 10kW. L’intérêt technico-économique de l’hybridation apparaît lorsque la contrainte de soutirage réseau est forte (fig. 8).
Fig. 8 : Résultats d’analyses technico-économiques avec différentes solutions stockage (batterie plomb, batterie lithium, hybridation avec une chaîne hydrogène)