Certains pays s’intéressent au thorium en tant que combustible nucléaire. Bien que cet élément soit très abondant sur Terre, il n’est pas fissile et ne peut donc pas être utilisé directement comme combustible nucléaire ; son utilisation en réacteur ne peut s’envisager qu’en association avec des éléments fissiles capables d’entretenir une réaction en chaîne. De ce fait, le développement de réacteurs utilisant le thorium ne présente pas d’intérêt technico-économique sur le court ou le moyen terme.
C’est particulièrement le cas en France, qui dispose d’un parc de réacteurs fonctionnant à l’uranium et/ou à l’uranium et au plutonium et d’un cycle du combustible associé, ayant atteint une pleine maturité industrielle. L’intérêt pour une utilisation industrielle à court ou moyen terme du thorium se limite donc aux quelques pays, comme l’Inde, ayant des ressources importantes en thorium et limitées en uranium.
Le thorium
est environ quatre fois plus abondant que l’uranium
La proportion de thorium dans la croûte terrestre est de l'ordre de un cent-millième, c'est-à-dire qu'il est plus abondant que l'étain, l'arsenic et les métaux précieux. Il y en a deux fois moins que le plomb, quatre fois moins que le zinc, dix fois moins que le cuivre, mais il est de trois à quatre fois plus abondant que l'uranium. (Source Encyclopedia Universalis) Mais cet avantage doit être pondéré par le fait que les sites où il se trouve assez concentré pour une exploitation économique sont limités.
Schéma des quantités relatives à l’uranium et pourcentage du Thorium 232 - Crédit : CEA/L. Colombel
L’intérêt à utiliser le thorium est surtout manifesté par des pays comme l’Inde qui en possède des gisements importants sur son sol national et a peu de ressources en uranium. Pour les autres pays nucléaires, le thorium est une ressource de combustible fertile utilisable de manière similaire à l’uranium 238. Mais sa mise en œuvre requiert des investissements lourds dans le développement de procédés spécifiques, depuis le laboratoire jusqu’à l’usine, alors que pour l’uranium 238, les procédés existent au stade industriel.
Pour amorcer un réacteur
au thorium, il faut de l’uranium
Dès les années 50, l’idée d’une filière de réacteurs au thorium a suscité l’intérêt des scientifiques parce que le thorium est relativement abondant dans la nature et parce qu’il génère un élément fissile lorsqu’il est irradié par des neutrons. Mais l’uranium est le seul élément naturel à comporter un isotope fissile (uranium 235).
Le thorium n’est pas un élément fissile , mais seulement fertile comme l’uranium 238. Son utilisation en réacteur ne peut s’envisager qu’en association avec des éléments fissiles capables d’entretenir une réaction en chaîne. Son utilisation qui nécessite l’ajout d’un isotope fissile (uranium enrichi ou plutonium) était donc impossible au tout début de l’exploitation de l’énergie nucléaire et ne peut venir qu’en aval d’un cycle U-Pu déjà maîtrisé.
Le démarrage d’un réacteur fonctionnant avec un cycle thorium-uranium 233 requiert :
- soit une charge d’uranium 233 constituée par irradiation de thorium dans les réacteurs à eau,
- soit un combustible à l’uranium enrichi (en uranium 235) ou au plutonium, auquel est substitué progressivement le combustible à l’uranium 233 extrait des combustibles thorium passés en réacteur à eau.
L’utilisation du thorium
requerrait deux filières distinctes
Le système nucléaire devrait alors compter non pas une filière industrielle complète de la mine au déchet, mais deux, très distinctes :
- Un parc de réacteurs à eau de la filière uranium -comprenant des éléments combustibles au thorium- associé à un procédé de retraitement pour extraire l’uranium 233 ou du plutonium ;
- Un second parc de réacteurs, amorcé avec les éléments fissiles produits dans les réacteurs à eau, associé à un second procédé de traitement des combustibles au thorium pour recycler l’uranium 233.
Le retraitement des combustibles usés au thorium, indispensable pour les deux options, nécessite le développement, au niveau industriel, d’un procédé spécifique (procédé thorex), distinct de celui utilisé pour l’uranium, qui n’a été expérimenté aux États-Unis qu’à l’échelle du laboratoire, et qu’au niveau pré-industriel en Inde.
Cette représentation des réactions nucléaires successives possibles à partir de thorium et d'uranium souligne les similitudes et les différences entre les deux voies. Dans le cas de l'uranium, elle est amorcée par de l'uranium 235 présent dans le minerai naturel puis dans le combustible préparé à partir de ce minerai. Dans le cas du thorium, il faut ajouter artificiellement un élément fissile (ici de l'uranium 235) dans le combustible préparé à partir de minerai naturel de thorium qui est non fissile. Sans cet ajout, la chaîne de réactions ne peut pas être initiée. Les atomes dont le nom est inscrit en noir sont présents dans le combustible dès le départ ; les atomes dont le nom est inscrit en bleu sont fabriqués au cours des réactions en chaîne.
L’impact radiologique du thorium est important
Le thorium naturel, compte parmi ses produits de filiation radioactive deux éléments très irradiants qui induisent des doses significatives pour les travailleurs. Certaines étapes de préparation de transport et de manipulation des combustibles et de retraitement du combustible usé pourraient nécessiter des dispositifs de télémanipulation et de radioprotection plus importants qu’avec le cycle uranium.
La R&D sur les combustibles contenant du thorium reste à faire
Le traitement des combustibles au thorium est théoriquement possible mais requiert un effort de R&D important dans la mesure où les procédés de traitement sont radicalement différents de ceux aujourd’hui maitrisés et mis en œuvre à l’échelle industrielle pour des combustibles uranium/plutonium. Certaines études mettent en avant un avantage pour le thorium par rapport à l’uranium en terme de radiotoxicité des combustibles usés à traiter, mais ce paramètre peut varier beaucoup en fonction de la composition du combustible en éléments fissiles et fertiles.
Le thorium n’évite pas
un stockage long terme des déchets
Dans l’une ou l’autre des deux filières, la réduction de la radiotoxicité des déchets requiert un traitement poussé et un recyclage des actinides. Dans la filière thorium, le dégagement de chaleur des actinides produits est beaucoup plus faible que dans les réacteurs à uranium. Il pourrait être possible de réaliser un stockage de déchets plus compact qu’avec la filière uranium, mais en aucun cas de s’affranchir d’une solution de gestion des déchets à long terme.
Un intérêt potentiel
à très long terme
Le thorium présente peu d’intérêt industriel à court et moyen terme. Notre pays maîtrise complètement le cycle du combustible à l’uranium et ne rencontre pas de problème d’approvisionnement en combustible..
Sur le long terme, l’intérêt pour le thorium de la communauté de R&D internationale (Génération IV) est plus largement partagé et porte sur des systèmes nucléaires du futur et les cycles du combustible les mieux à même de valoriser cette ressource fertile tout autant que celle que constitue l’uranium 238 de la filière à l’uranium. Le développement de réacteurs à sel fondu utilisant du thorium est étudié par le CNRS.