Les physiciens des expériences Atlas, CDF, CMS et D0 ont, pour la
première fois, joint leurs forces pour combiner leurs données et
produire le premier résultat commun issu des deux plus puissants
collisionneurs au monde : le Tevatron à Fermilab près de Chicago et le
LHC au Cern près de Genève. Ensemble, les quatre expériences ont permis
d’atteindre une précision inégalée de 0,4 % sur la masse de la particule
la plus lourde du modèle standard : le quark top. Cette combinaison de
onze mesures individuelles (dont deux directement issues du travail des
physiciens français) a nécessité une collaboration étroite entre les
quatre expériences afin de maîtriser les détails des techniques
d’analyse et d’estimer les incertitudes.
Le LHC (Cern, Europe),
en fonctionnement depuis 2009, et le Tevatron (Fermilab, Etats-Unis),
arrêté depuis 2011, sont les deux seules machines à avoir l’énergie
nécessaire pour produire directement le quark top, la particule
élémentaire la plus lourde connue actuellement. La grande masse du quark
top (près de 200 fois celle d’un proton) confère à ce quark des
caractéristiques très particulières. Il constitue un des objets d’étude
les plus importants dans la recherche de nouvelle physique au-delà du
modèle standard. Mesurer sa masse avec une grande précision est un défi
que les équipes du Tevatron et du LHC ont relevé depuis la découverte du
quark top en 1995 au Tevatron. Le Tevatron a produit environ 300 000
événements contenant une paire top-antitop au cours de ses 25 ans de
vie. Le LHC depuis son démarrage est une véritable « usine à top » avec
près de 20 millions d’événements top produits.
Chacune des quatre
collaborations avait déjà publié des mesures individuelles de masse du
quark top en analysant les différents canaux de désintégration du quark
top par des méthodes de plus en plus sophistiquées au cours des vingt
ans de recherche dans ce domaine. Mais c’est seulement en combinant leur
expertise et les informations extraites de leurs données respectives
que les quatre équipes ont pu atteindre ce niveau de précision. Ainsi
onze résultats individuels ont été combinés pour atteindre la meilleure
mesure au monde de la masse du quark top : 173,34 ± 0,76 GeV/c2, c’est à
dire une précision de l’ordre de 0,4 %. Ceci correspond à une
amélioration de 30 % par rapport à la meilleure mesure individuelle.
Cette mesure très précise va permettre aux physiciens de tester en
détail le modèle mathématique qui relie grâce à la mécanique quantique
la masse du quark top, la masse du boson de Higgs découvert en 2012 et
la masse du boson W, vecteur de l’interaction nucléaire faible. Ceci
permettra de rechercher des incohérences éventuelles dans le modèle
standard et des signes de modèles physiques qui conduiraient à une
meilleure compréhension des constituants de l’Univers. La mesure précise
de la masse du quark top est également cruciale pour confirmer que le
vide de notre univers est bien stable. Ce nouveau résultat est présenté
aux rencontres internationales de Moriond, en Italie, le 19 mars 2014,
une conférence organisée chaque année par la communauté française et
devenue un rendez-vous incontournable pour les physiciens des particules
du monde entier.
Unité de mesure des masses en physique des particules : Dans le domaine de la physique des particules, les énergies sont usuellement exprimées en gigaélectronvolt (GeV). 1 GeV correspond à 1,6x10-10 Joule. Du fait de la relativité restreinte (E=mc2), à partir de l’énergie d’une particule en GeV, il est possible d’en exprimer la masse en divisant son énergie par le carré de la vitesse de la lumière. La masse de la particule est alors exprimée en GeV/c².
Les équipes de l’Institut de recherche sur les
lois fondamentales de l’Univers (CEA-Irfu) et du CNRS étudient le quark
top depuis de nombreuses années au sein des quatre grandes expériences
du Cern et du Fermilab. Les physiciens de l’Irfu et du CNRS coordonnent
une partie des études sur le quark top dans ces expériences. Deux des
mesures individuelles qui entrent dans la combinaison sont directement
issues du travail des équipes françaises. Ce premier résultat commun
ouvre la voie à la combinaison d’autres résultats et permettra, par une
plus grande coopération entre les expériences, de pousser toujours plus
loin les frontières de la connaissance.
Cette figure montre un résumé des mesures de masse du quark top issues des quatre expériences ATLAS, CDF, CMS et D0 avec le résultat combiné de l’analyse conjointe. © DR