En 2011, les physiciens de T2K avaient réussi à détecter un
premier signal de ce type de transformation. Aujourd’hui, grâce à
l’accumulation de nouvellesdonnées, environ 3,5 fois
supérieures à celles obtenues en 2011, les physiciens de l’expérience
T2K apportent la preuve de l’existence d’un tel phénomène, avec une
incertitude inférieure à une part sur mille milliards. Cette découverte
établit pour la première fois de manière non ambigüe l’apparition, au
point de détection, d’un neutrino de saveur bien définie (type
électronique), différente de celle que le neutrino possédait au départ,
au moment de sa création (type muonique).
Les neutrinos
existent sous trois formes ou « saveurs » : les neutrinos électrons,
muons et tau. Située au Japon, l’expérience T2K étudie le mécanisme
d’oscillation de ces particules, c’est-à-dire la capacité qu’elles ont à
se transformer en une autre saveur durant leurs déplacements.
L’expérience T2K utilise un faisceau très intense de neutrinos muoniques
produits par l’accélérateur de protons du centre de recherches J-PARC
situé à Tokai sur la côte est du Japon. Ce faisceau de neutrinos,
contrôlé et analysé à Tokai (Japon) par deux dispositifs expérimentaux
complexes, nommés INGRID et ND280, est dirigé vers le gigantesque
détecteur souterrain Super-Kamiokande (SK), près de la côte ouest du
Japon, à une distance de 295 km de J-PARC. L’analyse minutieuse des
données recueillies par le détecteur SK, associée à la mesure du « temps
de vol » des neutrinos depuis J-PARC, montre que le nombre
d’interactions de neutrinos de type électronique (un total de 28
événements) est significativement supérieur à celui attendu (4,6
événements) en l’absence de ce nouveau type d’oscillation.
Le phénomène d’oscillation du neutrino est une manifestation à longue
distance d’un processus d’interférence en mécanique quantique.
L’observation faite par la collaboration T2K constitue une avancée
majeure en physique des particules car elle ouvre la voie à de nouvelles
expérimentations concernant la violation de la symétrie de CP
(charge-parité)[3]. Celle-ci est une propriété fondamentale qui permet
la distinction entre la matière et l’antimatière. A ce jour,
l’observation de la brisure de la symétrie de CP, récompensée en 1980 et
2008 par le prix Nobel, n’a été mise en évidence que dans le domaine
des quarks. La « violation de CP », si elle est également présente dans
le domaine des neutrinos, pourrait avoir joué un rôle important dans les
premiers instants de la formation de l’Univers apportant ainsi une
explication à l’un des plus grands mystères de la physique : pourquoi
y-a-t-il plus de matière que d’antimatière dans l’Univers aujourd’hui ?
Avec
la découverte par T2K de ce nouveau type de transformation du neutrino,
sensible au phénomène de la « violation de CP », la mise en évidence
d’une éventuelle asymétrie entre le neutrino et son antiparticule,
l’antineutrino, devient un enjeu scientifique majeur pour ces prochaines
années. L’expérience T2K qui, dans un futur proche, prévoit d’accumuler
dix fois plus de données avec l’utilisation conjointe d’un faisceau
d’antineutrinos, devrait occuper une place majeure dans cette aventure
scientifique.
Figure 1. Evénement neutrino électronique dans le détecteur Super-Kamiokande. © T2K
Dans cette image 3D du détecteur à forme cylindrique
Super-Kamiokande, chaque point de couleur correspond à la détection de
lumière Tcherenkov par un des 11200 photomultiplicateurs localisés sur
les parois d’une cuve remplie de 50000 tonnes d’eau ultra-pure. L’anneau
de forme circulaire est caractéristique d’un électron produit par
l’interaction d’un neutrino électronique avec l’eau. © T2K
[1] Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’univers (Irfu).
[2]Les
laboratoires impliqués sont : Laboratoire de physique nucléaire et de
hautes énergies (CNRS/Université Pierre et Marie Curie/ Université Paris
Diderot), Institut de physique nucléaire de Lyon (CNRS/Université
Claude Bernard Lyon 1), Laboratoire Leprince-Ringuet (CNRS/École
Polytechnique).[3] Dans la physique moderne, l'invariance (ou non) des lois de la physique lorsque les particules sont remplacées
par leurs antiparticules (C), et lorsque les trois directions de
l'espace (P) et du temps (T) sont renversées joue un rôle central.
Alors que l'invariance par CPT est une hypothèse fondamentale, vérifiée
expérimentalement, la violation de la symétrie CP fait l'objet de
nombreuses études et n'a pas encore été expliquée de façon satisfaisante
par la théorie.
L’expérience
T2K a été réalisée et conduite par une collaboration internationale
regroupant plus de 400 physiciens provenant de 59 instituts de recherche
répartis dans 11 pays (Allemagne, Canada, Espagne, Etats-Unis, France,
Italie, Japon, Pologne, Royaume Uni, Russie et Suisse). Les équipes
françaises ont apporté une contribution majeure dans la conception, la
construction et le fonctionnement de plusieurs des éléments des
détecteurs proches INGRID et ND280. Les physiciens du CEA/Irfu et du
CNRS sont aussi fortement impliqués dans l’analyse des données de
l’expérience T2K, notamment dans la caractérisation du faisceau de
neutrinos par les dispositifs INGRID et ND280. Ils ont également
participé à la calibration du détecteur Super-Kamiokande.
Figure 2. L’expérience T2K © T2K
Figure 2. L’expérience T2K utilise un faisceau de
neutrinos muoniques produit par l’accélérateur de J-PARC situé à Tokai
sur la côte est du Japon. Il est dirigé vers le détecteur
Super-Kamiokande à 295 km du point de production où les neutrinos
muoniques transformés en neutrinos électroniques sont observés. © T2K